"Beaumarchais (1732-1799) a préféré vivre ses aventures à son Théâtre alors qu'il pouvait devenir
Molière
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BIOGRAPHIE GRATUITE DE BEAUMARCHAIS
Frédéric Fabre
- ACTE II
LA FOLLE JOURNEE OU LE MARIAGE DE FIGAROO- ACTE III
SUZANNE, LA COMTESSE
entrent par la porte à droite.
FIGARO, SUZANNE, LA
COMTESSE, assise.
SUZANNE, LA COMTESSE, assise.
CHÉRUBIN, l'air honteux, SUZANNE, LA COMTESSE,
assise.
CHÉRUBIN, LA COMTESSE, assise.
CHÉRUBIN, LA COMTESSE, SUZANNE.
CHÉRUBIN à genoux, LA COMTESSE assise.
CHÉRUBIN à genoux, LA COMTESSE, assise, SUZANNE.
CHÉRUBIN à genoux, LA COMTESSE, assise.
CHÉRUBIN, LA COMTESSE, LE COMTE, en dehors.
BAZILE, BARTHOLO, MARCELINE, FIGARO, LE COMTE,
GRIPPE-SOLEIL, LA COMTESSE, SUZANNE, ANTONIO; VALETS DU COMTE, SES VASSAUX
LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, excepté LE COMTE.
SUZANNE, LA COMTESSE.
LE COMTE,PÉDRILLE, en veste et botté, tenant un paquet cacheté.
LE COMTE seul, criant..
LE COMTE, PÉDRILLE revient..
LE COMTE seul, marche en rêvant..
LE COMTE, FIGAROO
LE COMTE, seul..
SUZANNE, LE COMTE..
SUZANNE, FIGARO..
LE COMTE rentre seul..
BARTHOLO, MARCELINE, BRID'OISON..
BARTHOLO, MARCELINE, BRID'OISON; FIGARO rentre en se
frottant les mains..
BARTHOLO, MARCELINE, LE COMTE, BRID'OISON, FIGARO,
UN HUISSIER..
LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, ANTONIO, LES VALETS DU
CHÂTEAU, LES PAYSANS ET PAYSANNES, en habits de fêtee
LE COMTE, allant de côté et d'autre, MARCELINE,
BARTHOLO, FIGARO, BRID'OISON..
BARTHOLO, FIGARO, MARCELINE, BRID'OISON, SUZANNE,
ANTONIO, LE COMTE..
BARTHOLO, ANTONIO, SUZANNE, FIGARO, MARCELINE,
BRID'OISON..
BARTHOLO, SUZANNE, FIGARO, MARCEI,INE, BRID'OISON..
BRID'OISON seul..
- ACTE IV
FIGARO, SUZANNE
FIGARO, SUZANNE, LA COMTESSE
SUZANNE, LA COMTESSE
UNE JEUNE BERGÈRE, CHÉRUBIN en fille; FANCHETTE et
beaucoup de JEUNES FILLES habillées comme elle, et tenant des bouquets. LA
COMTESSE,
LES JEUNES FILLES, CHÉRUBIN au milieu d'elles; FANCHETTE, ANTONIO, LE COMTE, LA COMTESSE, SUZANNE
LE COMTE, LA COMTESSE
LE COMTE, LA COMTESSE, assis; l'on joue Les Folies d'Espagne d'un mouvement de marche (Symphonie notée)
Tous LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, excepté la Comtesse et Suzanne; BAZILE tenant sa guitare; GRIPPE-SOLEIL
LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, excepté BAZILE
GRIPPE-SOLEIL, FIGARO, MARCELINE, LE COMTE
FIGARO, MARCELINE
FIGARO, FANCHETTE, MARCELINE
FIGARO, MARCELINE
MARCELINE, seule
- ACTE V
Scène 1
FIGARO, un grand manteau sur les épaules, un large chapeau rabattu. BAZILE, ANTONIO, BARTHOLO, BRID'OISON, GRIPPE-SOLEIL, TROUPE DE VALETS ET DE TRAVAILLEURS.
Scène 3
FIGARO, LA COMTESSE, avec les habits de Suzon,
SUZANNE avec ceux de la Comtesse; MARCELINE
FIGARO, LA COMTESSE, SUZANNE
FIGARO, CHÉRUBIN, LE COMTE, LA COMTESSE, SUZANNE
FIGARO, LE COMTE, LA COMTESSE, SUZANNE
FIGARO, SUZANNE, dans l'obscurité
LE COMTE entre par le fond du théâtre, et va droit
au pavillon à sa droite. FIGARO, SUZANNE
LE COMTE, FIGARO. Le Comte saisit le bras de Figaro
PÉDRILLE, LE COMTE, FIGARO
LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, BRID'OISON, BARTHOLO, BAZILE, ANTONIO, GRIPPE-SOLEIL, toute la noce accourt avec des flambeaux.
TOUS LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, hors LE COMTE
LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, LE COMTE, CHÉRUBIN
LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, excepté ANTONIO
LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, ANTONIO, FANCHETTE
LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, MARCELINE
LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, SUZANNE. Suzanne, son
éventail sur le visage
TOUS LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, LA COMTESSE sort de l'autre pavillon.
1722: André-Charles Caron, né en 1698 dans une famille briarde et protestante, peut être reçu maître-horloger et exercer son métier puisqu'il a abjuré l'année précédente. Il épouse Marie-Louise Pichon. La famille habite rue Saint-Denis.
1725: Naissance de Marie-Josèphe, la future Mme Guilbert.
1731: naissance de Marie-Louise, Lisette, la future fiancée de Clavijo.24 janvier 1732: Naissance de Pierre-Augustin; septième enfant du ménage Caron, il sera baptisé le lendemain à Saint-Jacques-de-la-Boucherie.
Seul garçon d'une famille de six enfants
puisque les quatre autres sont morts en bas-âge, il restera toujours attaché à
sa famille
et la protègera.
1734: Naissance de Madeleine-Françoise, Fanchon.
1735: Naissance de Marie-Julie, La Bécasse, qui ne se mariera pas.1737: Naissance de Jeanne-Marguerite, Tonton.
1742-1745: Pierre-Augustin Caron étudie à l'école des métiers d'Alfort. Il travaille ensuite dans l'atelier de son père.
1748: Marie-Josèphe épouse un maître-maçon, Louis
Guilbert. Le ménage part s'installer à Madrid, accompagné de Lisette.
1749-1750: Pierre-Augustin Caron est chassé de la maison familiale. Son père ne supporte ni ses incartades ni son insolence. Des amis de la famille le recueillent et intercèdent pour lui: au terme de plusieurs mois, il devra accepter par écrit de sévères conditions pour pouvoir retrouver le foyer familial.
1753: Pierre-Augustin Caron invente un nouveau système d'échappement. Il le montre à l'horloger du roi, Lepaute. Ce dernier présente cette invention comme étant sienne, devant l'Académie .
13 novembre 1753: Furieux, Pierre-Augustin Caron envoie à l'Académie des sciences, un rapport fondé sur des preuves matérielles irréfutables. 23 février 1754: L'Académie des sciences délivre à Pierre-Augustin Caron un certificat pour attester qu'il est bien l'inventeur du nouveau système d'échappement. Il est maintenant connu, il est présenté au roi et à la reine et reçoit des commandes de la Cour.Pierre-Augustin perfectionne sa précédente invention. Une polémique éclate avec le Suisse Romilly : l'Académie des sciences déclare en juin les deux hommes pareillement inventeurs.
9 novembre 1755: Pierre-Augustin Caron qui a fait la connaissance de Franquet lui achète sa charge de "contrôleur clerc d'office de la Maison du roi" 9 janvier 1756: mort de M. Franquet. Sa veuve se console avec Pierre-Augustin Caron.Mai 1756: Lépine s'associe avec le père Caron. Il épouse Madeleine-Françoise.
27 novembre 1756: Pierre-Augustin Caron épouse à Saint-Nicolas-des-Champs Madeleine-Catherine Aubertin, veuve Franquet, de dix ans son aînée. Il s'installe chez sa belle-famille, rue de Braque.
1757: Pierre-Augustin Caron se fait appeler Caron de Beaumarchais, du nom d'une terre dont sa femme vient d'hériter.
30 septembre 1757:
Mort de sa femme, après une
maladie de huit jours. Comme le contrat de mariage ne prend effet qu'au 11
octobre, Beaumarchais ne peut hériter. Il se retrouve en procès avec les parents
de sa femme, les Aubertin.
Novembre 1757: Il s'installe au 17 de la rue Basse du Rempart. Il restera jusqu'en 1763.
Il entre en relation avec Le Normand d'Étiolles, banquier et mari de la marquise de Pompadour.
Avril 1758: Mort de sa mère.
1759: Beaumarchais donne des leçons de musique, notamment de harpe, instrument qu'il vient de perfectionner, à Mesdames, les
filles du roi: Adélaïde, Victoire, Sophie et Louise. Il leur rend divers
services et s'en fait apprécier.
Il fait la connaissance de Pâris-Duverney, financier et
négociant, oncle de Le Normand.
18 août 1760: Par l'entremise de Mesdames, Beaumarchais obtient que le roi visite l'Ecole militaire, fondée en 1751 et entretenue par Pâris-Duverney. Reconnaissant, celui-ci associe Beaumarchais à ses affaires de vivres. Il y fera fortune.
Décembre 1761: A la demande de son fils, André-Charles Caron résilie son commerce d'horloger.1762: Beaumarchais achète pour cinq cent soixante mille livres avancées par Pâris-Duverney, la charge de "grand maître des eaux et forêts". Il doit la revendre quelques mois plus tard, en butte à l'hostilité des autres grands maîtres.
Il écrit six "parades", jouées à Étiolles pour la fête de son ami Le Normand. Ce sont des œuvres de théâtre inspirées de la commedia dell’arte: Colin et Colette ; Les Bottes de sept lieues ; Léandre marchand d’agnus, médecin et bouquetière ; Jean-Bête à la foire, Zizabelle mannequin.
1763:
Il achète une maison au 26 de la rue de Condé, il y loge son père et ses deux
soeurs cadettes.
Il achète en août la charge de lieutenant
général des chasses et prête serment le 11 septembre. Il sera pour cette
charge sous l'autorité du duc de La Vallière. Il projette d'épouser Pauline le Breton, une jeune Créole amie
de sa famille.
20 avril 1764: Beaumarchais se rend en Espagne. Il souhaite marier sa soeur Lisette à Clavijo, solliciter le paiement de dettes considérables, et s'acquitter de missions semi-officielles : il part le 20 avril, muni de lettres de recommandation pour l'ambassadeur de France et de cent soixante mille livres de billets au porteur délivrés par Pâris-Duverney.
18 mai 1764: Arrivé à Madrid, il passe le premier mois à s'occuper du mariage de sa soeur. Très vite, il mène une existence mondaine et agitée, faisant vie commune avec la marquise de La Croix qu'il offrira au roi comme maîtresse. 22 mars 1765: Beaumarchais quitte Madrid : ses projets ont échoué. Clavijo n'épouse pas Lisette. Les projets "d'affaires" n'ont pas eu plus de succès: fournitures de vivres aux troupes espagnoles, fondation d'une compagnie française pour le commerce avec la Louisiane.9-10 avril 1765: De retour à Paris; il revend pour soixante-dix mille livres sa charge de conseiller secrétaire du roi. L'acte est signé en mai.
1765 :
Le Sacristain, " intermède imité de
l’espagnol " ébauche de ce qui deviendra Le Barbier de Séville.
Janvier 1766: Le père de Beaumarchais se remarie avec Mme Henry.
Février: Les fiançailles de Beaumarchais avec Pauline Le Breton sont rompues; Elle épousera quelques mois plus tard le chevalier de Séguiran.
Juillet-août 1766: Voyage en Touraine; début de l'exploitation, avec Pâris-Duverney, de deux mille arpents de la forêt de Chinon.
29 janvier 1767: Première représentation d'Eugénie à la Comédie-Française.
Affaire Lesueur : démêlés avec son laquais Lesueur, qui a servi de prête-nom pour l'adjudication des terres de la forêt de Chinon.
11 avril 1768: Mariage avec Geneviève-Madeleine Wattebled, veuve de Lévêque, garde général des Menus-Plaisirs, mort en décembre 1767. Augustin de Beaumarchais naît en décembre.
1768: Mort de la seconde femme du père Caron et du mari de Pauline Le Breton.
1769: Affaires diverses avec Pâris-Duverney.
1770: Début de l'amitié avec Gudin de
la Brenellerie.
13 janvier 1770: première représentation des Deux Amis.
7 mars 1770: Naissance d'une fille qui ne vit que quelques jours.
1er avril 1770:
Signature avec Pâris-Duverney de l'acte réglant
définitivement leurs affaires.
17 juillet 1770:
Mort de Pâris-Duverney, âgé de 86 ans, qui laisse
ses biens au comte de La Blache, son neveu par alliance.
20 novembre 1770: Mort de Madame de Beaumarchais, âgée de 39 ans. Elle laisse une importante fortune en viager.
Octobre 1771: Les affaires de la forêt de Chinon mettent Beaumarchais en difficulté. La Blache conteste en justice l'arrêté de compte entre son oncle et Beaumarchais.
22 février 1772: Beaumarchais gagne son procès en première instance. Son adversaire fait appel devant le parlement de Paris.
octobre 1772: Son fils Augustin meurt, âgé de trois ans et huit mois.
décembre 1772: Mort de sa soeur Jeanne-Marguerite.
1773: 3 janvier: Le Barbier de Séville est reçu à la Comédie-Française.
11 février:
Beaumarchais a une altercation avec le duc de Chaulnes, qui l'accuse de lui
ravir
sa
maîtresse, l'actrice Mlle Ménard. Tous deux seront emprisonnés.
Du 26 février au 8 mai: Détention de Beaumarchais au Fort-l'Evêque.
6 Avril: Goëzman, nommé rapporteur du procès La Blache auprès du parlement dirigé par Maupéou, rend un rapport défavorable. Par conséquent, Beaumarchais perd son procès et se trouve ruiné.
Mai: Sortant de prison, il est chassé de sa maison rue de Condé et doit se réfugier chez son beau-frère Lépine.
Juin: Goëzman porte plainte contre Beaumarchais.
10 juillet: Beaumarchais est décrété "d'ajournement personnel"
18 octobre: Beaumarchais fait reprendre la procédure du procès La Blache.
Septembre à décembre: Publication des trois premiers Mémoires contre Goëzman, les adversaires de Beaumarchais se mobilisent.
23 décembre: Goëzman est à son tour décrété "d'ajournement personnel".
1774: 10 février: Suite à la publication du quatrième Mémoire contre Goëzman, il est interdit de représenter Le Barbier de Séville.
26 février: Arrêt rendu dans l'affaire
Goëzman : Beaumarchais
et Goëzman sont blâmés.
5 mars: Les quatre Mémoires sont brûlés dans la cour du Palais.
17 mars: Arrêt rendu contre Goëzman.
Mars: Beaumarchais a fait la connaissance de Marie-Thérèse de Willer-Mawlas, avec qui il mène vie commune.
Avril: Séjour en Flandres et à Londres à la demande de Louis XV, Beaumarchais a obtenu la destruction d'un libelle contre Mme Du Barry.
Juin: Louis XV est mort le 10 mai, c'est donc à Louis XVI que Beaumarchais remet son mémoire sur sa mission d'avril. Il obtient de Louis XVI une nouvelle mission à Londres.
Juillet: Beaumarchais parvient à Londres, à faire détruire un pamphlet visant la famille royale française "Avis à la branche espagnole", après avoir rencontré Angelucci son auteur. Il séjourne aussi en Hollande pour cette affaire.
Août: Beaumarchais part à Vienne, toujours pour la même
affaire, mais on le trouvera suspect à la Cour.
Du 21 août au 23 septembre: Il est retenu prisonnier dans sa chambre.
Octobre: Revenu à Paris, Beaumarchais rédige pour les ministres "Idées élémentaires sur le rappel des Parlements".
12 novembre: Le parlement Maupéou est chassé sur la demande de Beaumarchais.
Novembre: L'arrêt de blâme du 26 février et visant Beaumarchais est cassé.
Décembre: Mémoire du comte de La Blache contre Beaumarchais.
29 décembre 1774: Le Barbier de Séville est approuvé par le censeur Crébillon fils.
1775: 16 janvier: Publication du Mémoire contre La Blache
31 janvier: Permis d'imprimer
Le Barbier de SévilleFévrier: Arrêt vouant à destruction le Mémoire contre La Blache
23 février: première représentation du Barbier de Séville C'est un triomphe: Plus de cent représentations en quatre ans dont 67 en 1784 Le chevalier d'Eon
Avril: Séjour à Londres et tractations avec le chevalier d'Eon, agent secret de Louis XV, pour obtenir la restitution de papiers compromettant feu le roi Louis XV
Juillet à décembre: Multiples voyages en Angleterre et en Flandres, en tant que "chargé de mission". Beaumarchais traite à nouveau avec le chevalier d'Eon. Premiers Mémoires au roi sur l'aide à apporter aux insurgents américains
Octobre: Agé de 77 ans, André-Charles Caron, père de Beaumarchais, s'éteint au sixième mois de son second remariage qui date du 18 avril
Décembre: Beaumarchais commence avec Vergennes, ministre des Affaires Etrangères, une correspondance qui s'achèvera en 1787, à la mort de ce dernier. Il commence à avoir des difficultés avec la Comédie Française à propos de ses droits d'auteur.
1776:
De janvier à mai: Il effectue plusieurs séjours à Londres pour de nouvelles négociations avec le chevalier d'Eon
Fin février: Il adresse "au Roi seul" un mémoire sur l'Angleterre et l'Amérique, incitant à soutenir les insurgés
10 juin: Vergennes fait mettre à la disposition de Beaumarchais, par le Trésor public, la somme d'un million de livres pour financer une expédition secrète de secours aux insurgés d'Amérique. Dans ce dessein, Beaumarchais fonde la maison de commerce Rodrigue Hortalez et Cie
23 juin: A Londres est publié le premier numéro du Courrier
de l'Europe, gazette que l'on surnommera rapidement le "journal
de Beaumarchais": ce premier numéro défend la cause des Insurgés
6 septembre: Le parlement réhabilite Beaumarchais dans tous ses droits en annulant le jugement du 26 février 1774
Octobre: Beaumarchais loue un hôtel particulier pour y installer les bureaux de sa compagnie de commerce
Novembre: Il fait une nouvelle demande de comptes à la Comédie-Française
Décembre: Parti inspecter au Havre le chargement de huit navires affrétés par sa compagnie pour aider les Insurgés, il doit les décharger sur ordre du gouvernement, suite à une plainte de l'Ambassade d'Angleterre.
Ville de VERGENNES nommée en l'honneur du ministre pour sa participation à l'indépendance des U.S.A
1777: 5 janvier:
Naissance d'Eugénie de Beaumarchais
6 janvier: Lettre aux Comédiens-Français, pour leur demander des comptes
Avril à juillet: L'affaire des Amériques est lancée: achat d'un bateau, sommes importantes remises par Vergennes, achats d'équipements pour les Insurgés
Juillet: Les bateaux ont tous levé l'ancre pour le nouveau monde
Octobre: Beaumarchais remet à Vergennes un "mémoire particulier pour les ministres du Roi et manifeste pour l'Etat", dont le gouvernement va s'inspirer
Octobre et novembre: Il voyage en France, pour affaires
Fondation de la Société des auteurs dramatiques sous son égide.
1778: 18 janvier: Réunion chez Beaumarchais des auteurs dramatiques et tractations avec la Comédie-Française
6 février: Un traité d'amitié est signé entre la France et les Etats-Unis
16 avril: Beaumarchais passe contrat avec les Américains pour le paiement des fournitures
mai-juillet: Le procès La Blache a repris devant le parlement d'Aix-en-Provence: le 21 juillet est rendu un arrêt favorable à Beaumarchais, le 31 intervient le règlement définitif entre les deux parties.
1779: 15 janvier: Lettre du président du Congrès des Etats-Unis au sujet des sommes dues à Beaumarchais qu'il ne percevra jamais
23 juillet: Un arrêt du parlement casse le décret d'ajournement personnel de juillet 1773: Beaumarchais peut reprendre sa charge de secrétaire du roi
19 décembre: Le Conseil d'Etat condamne un mémoire de Gibbon contre l'Angleterre, publié par Beaumarchais.
Beaumarchais entreprend l'édition des oeuvres de Voltaire
1780:
Toute l'année: négociations dans l'affaire des auteurs:
janvier: tractations avec les Comédiens-Français
avril: dîner avec les auteurs et compositeurs
août: rédaction du Compte rendu de l'affaire des auteurs dramatiques et des Comédiens-Français
9 décembre: les droits des auteurs dramatiques sont fixés par un arrêt du Conseil d'Etat.
1781: janvier: Parution du prospectus de souscription pour l'édition de Kehl des oeuvres de Voltaire.
février: Mémoire adressé à Vergennes : "Réflexions sur les secours à donner à l'Amérique"
18 mai: Un nouvel arrêt complète celui du 9 décembre 1780 dans l'affaire des auteurs
29 septembre: Le Mariage de Figaro est reçu à l'unanimité à la Comédie Française.
Octobre: Début de l'affaire Kornman. Lors d'un dîner chez le
prince de Nassau, Beaumarchais décide de défendre Mme Kornman. Le banquier
Kornman avait fait enfermer sa femme, maîtresse d'un familier du comte de
Nassau, pour s'emparer de sa dot. Beaumarchais parviendra à la faire libérer,
mais les libelles et réponses se succèderont jusqu'en 1789.
Beaumarchais cesse de s'occuper de la forêt de Chinon, qui ne lui a pas rapporté grand bénéfice.
1782: L'activité financière et commerciale de Beaumarchais marque cette année.
Il devient principal actionnaire puis administrateur de la Compagnie des eaux dont il avait souscrit un emprunt en 1781.
Il prête sept cent soixante-trois mille livres au duc de Choiseul.
A la demande du cardinal de Rohan, il vérifie les comptes de l'hôpital des Quinze-Vingts dont le caissier en est Kornman.
La flotte française défaite en avril, Beaumarchais lance une souscription pour sa reconstruction.
Pendant que se succèdent les lectures publiques du Mariage de Figaro, le deuxième censeur, Suard, émet en juillet un avis défavorable.
1783:12 février: Reprise des Deux Amis
13 juin: La représentation du
Mariage de Figaro
au théâtre des Menus-Plaisirs est interdite par le roi au dernier moment.
Lettre au Congrès des Etats-Unis pour demander le remboursement des sommes dues
26 septembre: Représentation du Mariage de Figaro chez le comte de Vaudreuil, à Genevilliers
1784: 19 janvier: Beaumarchais touche plus de 570.000 livres du roi, pour le dédommagement de ses pertes en mer dans l'affaire des insurgés américains.
Supplique au roi en faveur du
Mariage de Figaro.27 avril: la première du Mariage de Figaro fait un triomphe.
Septembre-octobre : représentation à Versailles de l'opéra
créé en 1782 par Paisiello, Le
Barbier de Séville
2 octobre: la cinquantième représentation du
Mariage de Figaro
est faite
au bénéfice des mères nourrices.
1785: 6 mars: Parution au Journal de Paris une lettre de Beaumarchais dans laquelle il fait allusion aux "lions et tigres" qu'il a dû vaincre pour faire jouer le Mariage de Figaro. Cette lettre provoque la colère du roi louis XVI
Du 8 au 13 mars: Beaumarchais est incarcéré à Saint-Lazare
22 mars: Beaumarchais se démet de sa charge de lieutenant général des chasses
Avril: Il adresse aux rois de France et de Suède un mémoire pour défendre le Mariage de Figaro.
Publication du Mariage de Figaro et de sa préface
3 juin: Un arrêt du Conseil d'Etat du roi ordonne la suppression des trente volumes de l'édition dite de Kehl des oeuvres de Voltaire
19 août: Le Barbier de Séville est repris à la Cour: Marie-Antoinette joue le rôle de Rosine
Polémique par libelles publiés avec Mirabeau au sujet de la Compagnie des eaux.
1786: Février: Beaumarchais reçoit du roi, pour solde de tout compte, 800 000 livres pour l'indemniser des pertes subies par sa flotte en 1778 et 1779
8 mars: Il épouse Marie-Thérèse de Willer-Mawlaz avec qui, il vivait depuis douze ans
1er mai: Première au Burgtheater de Vienne, des Noces de Figaro, de Mozart.
1787: Février : mort de Vergennes, un des plus sûrs soutiens de Beaumarchais
20 février-fin mai: L'affaire Kornman donne lieu à un premier mémoire de l'avocat Bergasse défenseur de M. Kornman, alors que Beaumarchais a pris le parti de Mme Kornman. Beaumarchais répond et l'avocat contre-attaque en mai
8 juin: première représentation d'un opéra, Tarare dont la musique est confiée à Salieri
26 juin: Beaumarchais achète un terrain près de la Bastille. Il y fait construire une somptueuse demeure, par l'architecte Lemoyne
19 août: Beaumarchais est convié à la cour, et fêté, pour une nouvelle représentation du
Barbier de Séville1788:
Juin: Beaumarchais porte plainte en diffamation après la publication d'un mémoire "pour le sieur Bergasse dans la cause du sieur Kornman" qui le met en question. Il publie aussi un "Court mémoire" en réponseAoût: Réplique par la publication des "Observations du sieur Bergasse" sur le
"court mémoire"
Publication de
"Idées élémentaires sur le rappel des Parlements"
1789: Mars: troisième mémoire contre Kornman, envoyé à chacun des juges
2 avril: Kornman et Bergasse sont condamnés comme calomniateurs par la Cour du parlement
13 mai: Beaumarchais écrit au lieutenant de police pour se plaindre de la casse des bas-reliefs de sa nouvelle demeure de la Bastille.
15 juillet : Il pénètre dans la Bastille, avec vingt-quatre hommes en armes
Août : Il est chargé de surveiller la démolition de la Bastille
12 août: Il est exclu de l'Assemblée des représentants suite à une dénonciation
Septembre:
Dans une "Requête à MM. les Représentants de la commune de Paris", Beaumarchais
réfute
les accusations portées contre lui. Le 15, il retrouve sa place à l'Assemblée
des représentants.
1790: Avril: Beaumarchais envoie 6.000 livres à l'Institut de bienfaisance mutuelle de Lyon
Juillet: il héberge gracieusement 800 fédérés de province
Août: reprise de Tarare, il modifie le dénouement
Septembre: réconciliation avec Mirabeau.
Ecriture de la comédie larmoyante La Mère Coupable
Les soixante-dix volumes de l'édition des oeuvres de Voltaire sont publiés. Il n'y a que 2.500 souscripteurs. C'est un échec financier.
1791: 13 janvier: Décret de la Constituante protégeant les auteurs dramatiques
Février: La Mère Coupable est acceptée par la Comédie-Française
12 août: Les auteurs approuvent le "Rapport fait aux auteurs dramatiques" sur la Comédie-Française, de Beaumarchais
23 décembre: Lecture, devant le Comité d'instruction publique, d'une pétition
de Beaumarchais contre l'usurpation des propriétés des auteurs par les
directeurs de spectacles. Beaumarchais retire à la Comédie-Française La
Mère Coupable
Dès novembre: Il prospecte pour l'achat d'armes, qui manquent à la France.
1792:
Janvier : reprise du Mariage de Figaro.16 mars : Le libraire Delahaye propose à Beaumarchais l'achat d'armes : commence l'affaire des fusils de Hollande.
3 avril : Signature du "traité des fusils" avec le ministre de Graves
Juin: Renvoi des ministres Girondins. Le 4, Beaumarchais est dénoncé par Chabot comme "accaparateur d'armes" il répond le 7
Première représentation de La Mère Coupable au Théâtre du Marais qui a ouvert ses portes le 31 août 1791
Juillet : Nouveau traité signé avec les ministres sur l'achat des armes
Août: Fouille de la maison de Beaumarchais: R.A.S
23 août: Beaumarchais est arrêté chez lui, délivré le 29 par Manuel
Septembre: Il obtient un passeport le 18 et une attestation de civisme le 19: il peut quitter la France et se rend au Havre le 22
Octobre: Le 2: il est à Londres; le 10: en Hollande où il espère régler l'affaire des fusils.
23 novembre: Sur dénonciation de Lecointre, Beaumarchais est "décrété d'accusation": les scellés sont mis chez lui
Décembre: revenu à Londres, Beaumarchais envoie le 16 une pétition à la Convention. Il est incarcéré pour dettes à Londres à la fin du mois.
1793: 10 février: Suspension du décret d'accusation du 23/11/1792, levée des scellés le 14
26 février: Après avoir payé une rançon à Londres, Beaumarchais est à Paris
Mai: Comparution devant le Comité de Salut public. Beaumarchais est reconnu innocent, on le charge une nouvelle fois d'acheter les armes de Hollande
Juin: Malade, il ne part que le 28, passant d'abord en Suisse
Août: Arrivé en Angleterre le 4, il en est refoulé : il s'embarque le 16 pour Ostende, où il restera malade, près de trois mois
Novembre: Compte-rendu de sa mission au Comité de salut public
Décembre : le Comité de salut public arrête que Beaumarchais, en mission, ne peut être considéré comme "émigré".
1794: Mars: Annulation de l'arrêt du Comité de salut public: Beaumarchais est placé sur la liste des "émigrés"
5 juillet: La femme, la fille et la soeur (Julie) de Beaumarchais sont emprisonnées à Paris
8 août: La chute de Robespierre sauve de l'échafaud la famille Beaumarchais: sa femme et sa fille sont libérées, sa soeur restera quatre mois de plus en prison
15 août: Mme de Beaumarchais divorce, comme l'y oblige la loi sur les "émigrés"
20 août: A La Haye, Beaumarchais obtient une entrevue avec les dirigeants hollandais, pour conclure la paix. Il ne sera pas retenu comme intermédiaire
Octobre: Beaumarchais s'exile à Hambourg.
6 octobre: Les Anglais s'emparent des fusils de Hollande et les transportent en Angleterre le 18.
1795: 10 avril: Beaumarchais adresse encore une requête au peuple américain pour le remboursement des sommes dues, en vain
13 avril : Pétition des citoyennes Beaumarchais en faveur de l'exilé, avec l'aide de Robert Lindet
30 avril : Mémoire de Beaumarchais au Comité de salut public
Juin: Rachat des fusils de Hollande par les Anglais : ces fusils sont définitivement perdus pour la France
30 juin: L'arrêt qui déclare Beaumarchais émigré
est rapporté par le Comité de sûreté générale. Mais cette
décision n'est pas appliquée
Septembre: Reprise de Tarare.
1796: Madame de Beaumarchais, secondée par Lindet, lutte pour obtenir le retour de son ex-mari. Beaumarchais est définitivement rayé de la liste des "émigrés" en juin, il arrive à Paris le 5 juillet. Le 10 sa fille Eugénie épouse André-Toussaint Delarue.
1797:
Janvier: Création d'une commission chargée d'examiner les comptes de Beaumarchais dans l'affaire des fusils de Hollande30 avril: Beaumarchais et Marie-Thérèse de Willers-Mawlaz se remarient
5 mai: Reprise de La Mère Coupable au théâtre de la rue Feydeau par les Comédiens-Français: l'auteur est acclamé
14 juin: Lettre au ministre de l'Intérieur, pour la défense des droits des auteurs dramatiques
Octobre: Le passeport pour l'Amérique, demandé au ministre Talleyrand, est refusé.
1798: Janvier: La commission créée un an plus tôt déclare Beaumarchais créancier de
l'Etat dans l'affaire des fusils de Hollande. Il refuse le compromis financier
proposé, et, en avril, sera déclaré débiteur par une nouvelle commission.
9 mai: mort de Julie
Juin-juillet: les Beaumarchais demandent de l'aide au ministre des Finances
Août: reprise des débats de la commission sur l'affaire des fusils de Hollande
Beaumarchais entretient une correspondance amoureuse avec Amélie Houret de La Marinaie.
1799: 1er janvier: La commission déclare à nouveau Beaumarchais débiteur dans l'affaire des fusils de Hollande
Avril: Publication dans le Journal de Paris de
deux lettres sur Voltaire et Jésus-Christ
Dans
la nuit du 17 au 18 mai, Beaumarchais meurt d'apoplexie pendant son sommeil
1802: Un arrêté de la commission règle définitivement les comptes de l'affaire des fusils de Hollande.
1816: Madame de Beaumarchais meurt.
1822: Transfert des cendres de Beaumarchais au cimetière du Père-Lachaise.
1897:
Inauguration de la statue de Beaumarchais, à Paris carrefour des rues des Tournelles et Saint-Antoine.ACTE PREMIER
Le théâtre représente une rue de
Séville,
où toutes les croisées sont grillées.
SCÈNE PREMIÈRE
LE COMTE, seul, en grand manteau brun et chapeau rabattu. Il tire sa montre en se promenant.
Le jour est moins avancé que je ne croyais. L'heure à laquelle elle a comme de se montrer derrière sa jalousie est encore éloignée. N'importe ; il vaut mieux arriver trop tôt que de manquer l'instant de la voir. Si quelque aimable de la Cour pouvait me deviner à cent lieues de Madrid, arrêté tous les matins sous les fenêtres d'une femme à qui je n'ai jamais parlé, il me prendrait pour un Espagnol du temps d'Isabelle. Pourquoi non ? Chacun court après le bonheur. Il est pour moi dans le coeur de Rosine. — Mais quoi ! suivre une femme à Séville, quand Madrid et la Cour offrent de toutes parts des plaisirs si faciles? — Et c'est cela même que je fuis. Je suis las des conquêtes que l'intérêt, la convenance ou la vanité nous présentent sans cesse. Il est si doux d'être aimé pour soi-même ; et si je pouvais m'assurer sous ce déguisement... Au diable l'importun !
SCENE II
FIGARO, LE COMTE, caché.
FIGARO, une guitare sur le dos attachée en bandoulière avec un large ruban il chantonne gaiement, un papier et un crayon à la main.
L'autre est mon serviteur.
Fort bien, Figaro!... (Il écrit en chantant.)
Le vin et la paresse
Se partagent mon coeur ;
Si l'une est ma maîtresse,
L'autre est mon serviteur,
L'autre est mon serviteur,
L'autre est mon serviteur.
Hein, hein, quand il y aura des accompagnements là-dessous, nous verrons
encore, Messieurs de la cabale, si je ne sais ce que je dis. (Il aperçoit
le Comte.) J'ai vu cet Abbé-là quelque part. (Il se relève.)
LE COMTE, à part.
Cet homme ne m'est pas inconnu.
FIGARO
Eh non, ce n'est pas un Abbé! Cet air altier et noble...
LE COMTE
Cette tournure grotesque..
FIGARO
Je ne me trompe point ; c'est le Comte Almaviva.
SCENE III
BARTHOLO, ROSINE. La jalousie du premier étage s'ouvre, et Bartholo et Rosine se mettent à la fenêtre.
ROSINE
SCENE IV
LE COMTE, FIGARO. Ils entrent avec précaution.
LE COMTE
SCENE V
LE COMTE ET FIGARO, cachés.
BARTHOLO
sort en parlant de la maison.
BARTHOLO
SCENE VI
LE COMTE, FIGARO
LE COMTE
ACTE I
Scène 1
FIGARO, SUZANNEE
FIGARO: Dix-neuf pieds sur vingt-six.FIGARO: Dix-neuf pieds sur vingt-six.
SUZANNE: Tiens, Figaro, voilà mon petit chapeau; le trouves-tu mieux ainsi ?
FIGARO lui prend les mains: Sans comparaison, ma charmante. Oh ! que
ce joli bouquet virginal, élevé sur la tête d'une belle fille, est doux, le
matin des noces, à l'oeil amoureux d'un époux !...
SUZANNE se retire: Que mesures-tu donc là, mon fils ?
FIGARO: Je regarde, ma petite Suzanne, si ce beau lit que Monseigneur nous donne aura bonne grâce ici.
SUZANNE: Dans cette chambre ?
FIGARO: Il nous la cède.
SUZANNE: Et moi je n'en veux point.
FIGARO: Pourquoi ?
SUZANNE: Je n'en veux point.
FIGARO: Mais encore ?
SUZANNE: Elle me déplaît.
FIGARO: On dit une raison.
SUZANNE: Si je n'en veux pas dire ?
FIGARO: Oh ! quand elles sont sûres de nous
SUZANNE: Prouver que j'ai raison serait accorder que je puis avoir tort. Es-tu mon serviteur, ou non ?
FIGARO: Tu prends de l'humeur contre la chambre du château la plus commode, et qui tient le milieu des deux appartements. La nuit, si Madame est incommodée, elle sonnera de son côté; zeste ! en deux pas, tu es chez elle. Monseigneur veut-il quelque chose ? il n'a qu'à tinter du sien; crac ! en trois sauts me voilà rendu.
SUZANNE: Fort bien ! mais, quand il aura «tinté» le matin pour te donner quelque bonne et longue commission, zeste ! en deux pas il est à ma porte, et crac ! en trois sauts...
FIGARO: Qu'entendez-vous par ces paroles ?
SUZANNE: Il faudrait m'écouter tranquillement.
FIGARO: Eh qu'est-ce qu'il y a ? Bon Dieu !
SUZANNE: Il y a, mon ami, que las de courtiser les beautés des environs, Monsieur le Comte Almaviva veut rentrer au château, mais non pas chez sa femme ; c'est sur la tienne, entends-tu, qu'il a jeté ses vues, auxquelles il espère que ce logement ne nuira pas. Et c'est ce que le loyal Bazile, honnête agent de ses plaisirs, et mon noble maître à chanter, me répète chaque jour, en me donnant leçon.
FIGARO: Bazile ! ô mon mignon ! si jamais volée de bois vert appliquée sur une échine a dûment redressé la moelle épinière à quelqu'un...
SUZANNE: Tu croyais, bon garçon! que cette dot qu'on me donne était pour les beaux yeux de ton mérite ?
FIGARO: J'avais assez fait pour l'espérer.
SUZANNE: Que les gens d'esprit sont bêtes !
FIGARO: On le dit.
SUZANNE: Mais c'est qu'on ne veut pas le croire.
FIGARO: On a tort.
SUZANNE: Apprends qu'il la destine à obtenir de moi, secrètement, certain quart d'heure, seul à seule, qu'un ancien droit du seigneur... Tu sais s'il était triste !
FIGARO: Je le sais tellement que, si Monsieur le Comte, en se mariant, n'eût pas aboli ce droit honteux, jamais je ne t'eusse épousée dans ses domaines.
SUZANNE: Eh bien ! s'il l'a détruit, il s'en repent ; et c'est de ta fiancée qu'il veut le racheter en secret aujourd'hui.
FIGARO, se frottant la tête: Ma tête s'amollit de surprise ; et mon front fertilisé...
SUZANNE: Ne le frotte donc pas
FIGARO: Quel danger ?
SUZANNE, riant: S'il y venait un petit bouton ; des gens superstitieux...
FIGARO: Tu ris, friponne ! Ah ! s'il y avait moyen d'attraper ce grand trompeur, de le faire donner dans un bon piège, et d'empocher son or !
SUZANNE: De l'intrigue, et de l'argent ; te voilà dans ta sphère.
FIGARO: Ce n'est pas la honte qui me retient.
SUZANNE: La crainte ?
FIGARO: Ce n'est rien d'entreprendre une chose dangereuse, mais d'échapper au péril en la menant à bien: car, d'entrer chez quelqu'un la nuit, de lui souffler sa femme, et d'y recevoir cent coups de fouet pour la peine, il n'est rien plus aisé ; mille sots coquins l'on fait. Mais...
On sonne de l'intérieur.
SUZANNE: Voilà Madame éveillée; elle m'a bien recommandé d'être la première à lui parler le matin de mes noces.
FIGARO: Y a-t-il encore quelque chose là-dessous ?
SUZANNE: Le berger dit que cela porte bonheur aux épouses délaissées. Adieu, mon petit Fi, Fi, Figaro, rêve à notre affaire.
FIGARO: Pour m'ouvrir l'esprit, donne un petit baiser.
SUZANNE: A mon amant aujourd'hui ? Je t'en souhaite ! Et qu'en dirait demain mon mari ?
Figaro l'embrasse.
SUZANNE: Hé bien! hé bien!
FIGARO: C'est que tu n'as pas d'idée de mon amour.
SUZANNE, se dérivant: Quand cesserez-vous, importun, de m'en parler du matin au soir ?
FIGARO, mystérieusement: Quand je pourrai te le prouver, du soir jusqu'au matin.
On sonne une seconde fois.
SUZANNE, de loin, les doigts unis sur sa bouche: Voilà votre baiser, Monsieur ; je n'ai plus rien à vous.
FIGARO court après elle: Oh ! mais ce n'est pas ainsi que vous l'avez reçu.
Scène 2
FIGARO, seul.
La charmante fille ! toujours riante, verdissante, pleine de gaieté, d'esprit, d'amour et de délices ! mais sage !... (Il marche vivement en se frottant les mains.) Ah, Monseigneur! mon cher Monseigneur ! vous voulez m'en donner... à garder ? Je cherchais aussi pourquoi, m'ayant nommé concierge, il m'emmène à son ambassade, et m'établit courrier de dépêches. J'entends, Monsieur le Comte: trois promotions à la fois ; vous, compagnon ministre ; moi, casse-cou politique, et Suzon, dame du lieu, l'ambassadrice de poche ; et puis fouette courrier ! pendant que je galoperais d'un côté, vous feriez faire de l'autre à ma belle un joli chemin ! Me crottant, m'échinant pour la gloire de votre famille ; vous, daignant concourir à l'accroissement de la mienne ! quelle douce réciprocité ! Mais, Monseigneur, il y a de l'abus. Faire à Londres, en même temps, les affaires de votre maître et celles de votre valet ! représenter, à la fois, le roi et moi, dans une cour étrangère, c'est trop de moitié, c'est trop. Pour toi, Bazile ! fripon mon cadet ! je veux t'apprendre à clocher devant les boiteux ; je veux... non, dissimulons avec eux pour les enferrer l'un par l'autre. Attention sur la journée, Monsieur Figaro ! D'abord avancer l'heure de votre petite fête, pour épouser plus sûrement ; écarter une Marceline, qui de vous est friande en diable ; empocher l'or et les présents ; donner le change aux petites passions de Monsieur le Comte; étriller rondement Monsieur du Bazile et...
Scène 3
MARCELINE, BARTHOLO, FIGARO.
FIGARO s'interrompt: ... Héééé, voilà le gros docteur, la fête sera complète. Hé, bonjour, cher docteur de mon coeur. Est-ce ma noce avec Suzon qui vous attire au château?
BARTHOLO, avec dédain: Ah! mon cher Monsieur, point du tout.
FIGARO: Cela serait bien généreux !
BARTHOLO: Certainement, et par trop sot.
FIGARO: Moi qui eus le malheur de troubler la vôtre !
BARTHOLO: Avez-vous autre chose à nous dire?
FIGARO: On n'aura pas pris soin de votre mule!
BARTHOLO, en colère: Bavard enragé! laissez-nous.
FIGARO: Vous vous fâchez, docteur? les gens de votre état sont bien durs! pas plus de pitié des pauvres animaux... en vérité... que si c'était des hommes! Adieu, Marceline: avez-vous toujours envie de plaider contre moi?
Pour n'aimer pas, faut-il qu'on se haïsse? Je m'en rapporte au docteur.
BARTHOLO: Qu'est-ce que c'est?
FIGARO: Elle vous le contera de reste.
Il sort.
Scène 4
MARCELINE, BARTHOLO.
MARCELINE le retourne: Enfin vous voilà donc, éternel docteur? toujours si grave et compassé qu'on pourrait mourir en attendant vos secours, comme on s'est marié, jadis, malgré vos précautions.
BARTHOLO: Toujours amère et provocante! Eh bien, qui rend donc ma présence au château si nécessaire? Monsieur le Comte a-t-il eu quelque accident?
MARCELINE: Non, docteur.
BARTHOLO: La Rosine, sa trompeuse comtesse, est-elle incommodée, Dieu merci?
MARCELINE: Elle languit.
BARTHOLO: Et de quoi?
MARCELINE: Son mari la néglige.
BARTHOLO, avec joie: Ah, le digne époux qui me venge!
MARCELINE: On ne sait comment définir le Comte; il est jaloux, et libertin.
BARTHOLO: Libertin par ennui, jaloux par vanité; cela va sans dire.
MARCELINE: Aujourd'hui, par exemple, il marie notre Suzanne à son Figaro qu'il comble en faveur de cette union...
BARTHOLO: Que Son Excellence a rendue nécessaire !
MARCELINE: Pas tout à fait; mais dont Son Excellence voudrait égayer en secret l'événement avec l'épousée...
BARTHOLO: De Monsieur Figaro? C'est un marché qu'on peut conclure avec lui.
MARCELINE: Bazile assure que non.
BARTHOLO: Cet autre maraud loge ici? C'est une caverne! Eh, qu'y fait-il?
MARCELINE: Tout le mal dont il est capable. Mais le pis que j'y trouve est cette ennuyeuse passion qu'il a pour moi, depuis si longtemps.
BARTHOLO Je me serais débarrassé vingt fois de sa poursuite.
MARCELINE : De quelle manière?
BARTHOLO: En l'épousant.
MARCELINE: Railleur fade et cruel, que ne vous débarrassez-vous de la mienne
à ce prix? ne le devez-vous pas? où est le souvenir de vos engagements? qu'est
devenu celui de notre petit Emmanuel, ce fruit d'un amour oublié, qui devait
nous conduire à des noces?
BARTHOLO, ôtant son chapeau: Est-ce pour écouter ces sornettes que vous m'avez fait venir de Séville? Et cet accès d'hymen qui vous reprend si vif...
MARCELINE: Eh bien! n'en parlons plus. Mais si rien n'a pu vous porter à la justice de m'épouser, aidez-moi donc du moins à en épouser un autre.
IBARTHOLO: Ah! volontiers: parlons. Mais quel mortel abandonné du Ciel et des femmes?...
MARCELINE: Eh! qui pourrait-ce être, docteur, sinon le beau, le gai, l'aimable Figaro?
BARTHOLO: Ce fripon-là?
MARCELINE: Jamais fâché; toujours en belle humeur; donnant le présent à la joie, et s'inquiétant de l'avenir tout aussi peu que du passé; sémillant, généreux! généreux...
BARTHOLO: Comme un voleur.
MARCELINE: Comme un seigneur. Charmant enfin; mais c'est le plus grand monstre
BARTHOLO: Et sa Suzanne?
MARCELINE: Elle ne l'aurait pas, la rusée, si vous vouliez m'aider, mon petit docteur, à faire valoir un engagement que j'ai de lui.
BARTHOLO: Le jour de son mariage?
MARCELINE: On en rompt de plus avancés: et si je ne craignais d'éventer un petit secret des femmes!...
BARTHOLO: En ont-elles pour le médecin du corps?
MARCELINE: Ah, vous savez que je n'en ai pas pour vous! Mon sexe est ardent, mais timide: un certain charme a beau nous attirer vers le plaisir, la femme la plus aventurée sent en elle une voix qui lui dit: sois belle si tu peux, sage si tu veux; mais sois considérée, il le faut. Or, puisqu'il faut être au moins considérée, que toute femme en sent l'importance, effrayons d'abord la Suzanne sur la divulgation des offres qu'on lui fait.
BARTHOLO: Où cela mènera-t-il?
MARCELINE: Que la honte la prenant au collet, elle continuera de refuser le Comte, lequel, pour se venger, appuiera l'opposition que j'ai faite à son mariage; alors le mien devient certain.
BARTHOLO: Elle a raison. Parbleu, c'est un bon tour que de faire épouser ma vieille gouvernante au coquin qui fit enlever ma jeune maîtresse.
MARCELINE, vite: Et qui croit ajouter à ses plaisirs en trompant mes espérances.
BARTHOLO, vite: Et qui m'a volé, dans le temps, cent écus que j'ai sur le coeur.
MARCELINE: Ah! quelle volupté !...
BARTHOLO: De punir un scélérat...
MARCELINE: De l'épouser, docteur, de l'épouser!
Scène 5
MARCELINE, BARTHOLO, SUZANNE.
SUZANNE, un bonnet de femme avec un large ruban dans la main, une robe de femme sur le bras: L'épouser l'épouser! qui donc? Mon Figaro?
MARCELINE, aigrement: Pourquoi non? Vous l'épousez bien!
BARTHOLO, riant: Le bon argument de femme en colère! Nous parlions, belle Suzon, du bonheur qu'il aura de vous posséder.
MARCELINE: Sans compter Monseigneur dont on ne parle pas.
SUZANNE, une révérence: Votre servante, Madame il y a toujours quelque chose d'amer dans vos propos.
MARCELINE, une révérence: Bien la vôtre, Madame; où donc est l'amertume? N'est-il pas juste qu'un libéral seigneur partage un peu la joie qu'il procure à ses gens?
SUZANNE: Qu'il procure?
MARCELINE: Oui, Madame.
SUZANNE: Heureusement la jalousie de Madame est aussi connue que ses droits sur Figaro sont légers.
MARCELINE : On eût pu les rendre plus forts en les cimentant à la façon de Madame.
SUZANNE: Oh! cette façon, Madame, est celle des dames savantes.
MARCELINE: Et l'enfant ne l'est pas du tout! Innocente comme un vieux juge!
BARTHOLO, attirant Marceline: Adieu, jolie fiancée de notre Figaro.
MARCELINE, une révérence: L'accordée secrète de Monseigneur.
SUZANNE, une révérence: Qui vous estime beaucoup, Madame.
MARCELINE, une révérence: Me fera-t-elle aussi l'honneur de me chérir un peu, Madame?
SUZANNE, une révérence: A cet égard, Madame n'a rien à désirer.
MARCELINE, une révérence: C'est une si jolie personne que Madame!
SUZANNE, une révérence: Eh! mais assez pour désoler Madame.
MARCELINE, une révérence: Surtout bien respectable !
SUZANNE, une révérence: C'est aux duègnes à l'être.
MARCELINE, outrée: Aux duègnes ! aux duègnes !
BARTHOLO, l'arrêtant: Marceline !
MARCELINE: Allons, docteur; car je n'y tiendrais pas. Bonjour, Madame. (Une révérence.)
Scène 6
SUZANNE, seule.
Allez, Madame! allez, pédante! je crains aussi peu vos efforts que je méprise vos outrages. Voyez cette vieille sibylle! parce qu'elle a fait quelques études et tourmenté la jeunesse de Madame, elle veut tout dominer au château! (Elle jette la robe qu'elle tient sur une chaise.) Je ne sais plus ce que je venais prendre.
Scène 7
SUZANNE, CHÉRUBIN.
CHÉRUBIN, accourant: Ah, Suzon! depuis deux heures j'épie le moment de te trouver seule. Hélas! tu te maries, et moi je vais partir.
SUZANNE: Comment mon mariage éloigne-t-il du château le premier page de Monseigneur?
CHÉRUBIN, piteusement: Suzanne, il me renvoie.
SUZANNE le contrefait: Chérubin, quelque sottise !
CHÉRUBIN: Il m'a trouvé hier au soir chez ta cousine Fanchette, à qui je faisais répéter son petit rôle d'innocente, pour la fête de ce soir: il s'est mis dans une fureur en me voyant! "Sortez, m'a-t-il dit, petit..." Je n'ose pas prononcer devant une femme le gros mot qu'il a dit... "Sortez; et demain vous ne coucherez pas au château." Si Madame, si ma belle marraine ne parvient pas à l'apaiser, c'est fait, Suzon, je suis à jamais privé du bonheur de te voir.
SUZANNE: De me voir! moi? c'est mon tour! Ce n'est donc plus pour ma maîtresse que vous soupirez en secret?
CHÉRUBIN: Ah! Suzon, qu'elle est noble et belle mais qu'elle est imposante!
CHÉRUBIN: Tu sais trop bien, méchante, que je n'ose pas oser. Mais que tu es heureuse! à tous moments la voir, lui parler, l'habiller le matin et la déshabiller le soir, épingle à épingle... ah! Suzon! je donnerais... Qu'est-ce que tu tiens donc là?
SUZANNE, raillant: Hélas! l'heureux bonnet et le fortuné ruban qui renferment la nuit les cheveux de cette belle marraine...
CHÉRUBIN, vivement: Son ruban de nuit! donne-le-moi, mon coeur.
SUZANNE, le retirant: Eh! que non pas; "son coeur! " Comme il est familier donc! si ce n'était pas un morveux sans conséquence... (Chérubin arrache le ruban.) Ah! le ruban!
CHÉRUBIN tourne autour du grand fauteuil: Tu diras qu'il est égaré, gâté; qu'il est perdu. Tu diras tout ce que tu voudras.
SUZANNE tourne après lui: Oh! dans trois ou quatre ans, je prédis que vous serez le plus grand petit vaurien!... Rendez-vous le ruban?
Elle veut le reprendre.
CHÉRUBIN tire une romance de sa poche: Laisse, ah, laisse-le-moi, Suzon; je te donnerai ma romance, et pendant que le souvenir de ta belle maîtresse attristera tous mes moments, le tien y versera le seul rayon de joie qui puisse encore amuser mon coeur.
SUZANNE arrache la romance: Amuser votre coeur, petit scélérat! vous croyez parler à votre Fanchette; on vous surprend chez elle; et vous soupirez pour Madame et vous m'en contez à moi par-dessus le marché!
CHÉRUBIN, exalté: Cela est vrai, d'honneur! je ne sais plus ce que je suis mais depuis quelque temps je sens ma poitrine agitée mon coeur palpite au seul aspect d'une femme; les mots amour et volupté le font tressaillir et le troublent. Enfin le besoin de dire à quelqu'un je vous aime est devenu pour moi si pressant que je le dis tout seul, en courant dans le parc, à ta maîtresse, à toi, aux arbres, aux nuages, au vent qui les emporte avec mes paroles perdues. Hier je rencontrai Marceline...
SUZANNE, riant: Ah, ah, ah, ah!
CHÉRUBIN: Pourquoi non? elle est femme! elle est fille! une fille! une femme ah que ces noms sont doux! qu'ils sont intéressants!
SUZANNE: Il devient fou!
CHÉRUBIN: Fanchette est douce; elle m'écoute au moins; tu ne l'es pas, toi!
SUZANNE: C'est bien dommage; écoutez donc Monsieur !
Elle veut arracher le ruban.
CHÉRUBIN tourne en fuyant: Ah! ouiche! on ne l'aura, vois-tu, qu'avec ma vie. Mais, si tu n'es pas contente du prix, j'y joindrai mille baisers.
Il lui donne chasse à son tour.
SUZANNE tourne en fuyant: Mille soufflets, si vous approchez. Je vais m'en plaindre à ma maîtresse; et, loin de supplier pour vous, je dirai moi-même à Monseigneur: C'est bien fait, Monseigneur; chassez-nous ce petit voleur; renvoyez à ses parents un petit mauvais sujet qui se donne les airs d'aimer Madame, et qui veut toujours m'embrasser par contrecoup.
CHÉRUBIN voit le Comte entrer; il se jette derrière le fauteuil avec effroi: Je suis perdu.
SUZANNE: Quelle frayeur?
Scène 8
SUZANNE, LE COMTE, CHÉRUBIN caché.
SUZANNE aperçoit le Comte: Ah!... (Elle s'approche
du fauteuil pour masquer Chérubin.)LE COMTE s'avance: Tu es émue, Suzon! tu parlais seule, et ton petit coeur paraît dans une agitation... bien pardonnable, au reste, un jour comme celui-ci.
SUZANNE, troublée: Monseigneur, que me voulez vous? Si l'on vous trouvait avec moi...
LE COMTE: Je serais désolé qu'on m'y surprît; mais tu sais tout l'intérêt que je prends à toi. Bazile ne t'a pas laissé ignorer mon amour. Je n'ai rien qu'un instant pour t'expliquer mes vues; écoute.
Il s'assied dans le fauteuil
SUZANNE, vivement: Je n'écoute rien.
LE COMTE lui prend la main: Un seul mot. Tu sais que le roi m'a nommé son ambassadeur à Londres. J'emmène avec moi Figaro: je lui donne un excellent poste; et comme le devoir d'une femme est de suivre son mari...
SUZANNE: Ah! si j'osais parler!
LE COMTE la rapproche de lui: Parle, parle, ma chère use aujourd'hui d'un droit que tu prends sur moi pour la vie.
SUZANNE, effrayée: Je n'en veux point, Monseigneur, je n'en veux point. Quittez-moi, je vous prie.
LE COMTE: Mais dis auparavant.
SUZANNE, en colère: Je ne sais plus ce que je disais.
LE COMTE: Sur le devoir des femmes.
SUZANNE: Eh bien! lorsque Monseigneur enleva la sienne de chez le docteur, et qu'il l'épousa par amour, lorsqu'il abolit pour elle un certain affreux droit du seigneur...
LE COMTE, gaiement: Qui faisait bien de la peine aux filles! Ah Suzette! ce droit charmant! si tu venais en jaser sur la brune au jardin, je mettrais un tel prix à cette légère faveur...
BAZILE parle en dehors: Il n'est pas chez lui, Monseigneur.
LE COMTE se lève: Quelle est cette voix?
SUZANNE: Que je suis malheureuse!
LE COMTE: Sors, pour qu'on n'entre pas.
SUZANNE, troublée: Que je vous laisse ici?
BAZILE crie en dehors: Monseigneur était chez Madame, il en est sorti: je vais voir.
LE COMTE: Et pas un lieu pour se cacher! ah! derrière ce fauteuil... assez mal; mais renvoie-le bien vite.
Suzanne lui barre le chemin, il la pousse doucement, elle recule, et se met ainsi entre lui et le petit page; mais pendant que le Comte s'abaisse et prend sa place, Chérubin tourne et se jette effrayé sur le fauteuil à genoux, et s'y blottit. Suzanne prend la robe qu'elle apportait, en couvre le page, et se met devant le fauteuil.
Scène 9
LE COMTE et CHÉRUBIN cachés, SUZANNE, BAZILE.
BAZILE: N'auriez-vous pas vu Monseigneur, Mademoiselle?
SUZANNE, brusquement: Hé! pourquoi l'aurais-je vu? Laissez-moi.
BAZILE s'approche: Si vous étiez plus raisonnable, il n'y aurait rien d'étonnant à ma question. C'est Figaro qui le cherche.
SUZANNE: Il cherche donc l'homme qui lui veut le plus de mal après vous?
LE COMTE, à part: Voyons un peu comme il me sert.
BAZILE: Désirer du bien à une femme, est-ce vouloir du mal à son mari?
SUZANNE: Non, dans vos affreux principes, agent de corruption.
BAZILE: Que vous demande-t-on ici que vous n'alliez prodiguer à un autre? Grâce à la douce cérémonie, ce qu'on vous défendait hier, on vous le prescrira demain.
SUZANNE: Indigne!
BAZILE: De toutes les choses sérieuses, le mariage étant la plus bouffonne, j'avais pensé...
SUZANNE, outrée: Des horreurs. Qui vous permet d'entrer ici?
BAZILE: Là, là, mauvaise! Dieu vous apaise! il n'en sera que ce que vous voulez; mais ne croyez pas non plus que je regarde Monsieur Figaro comme l'obstacle qui nuit à Monseigneur; et sans le petit page...
SUZANNE, timidement: Don Chérubin?
BAZILE la contrefait: Cherubino di amore, qui tourne autour de vous sans cesse, et qui, ce matin encore, rôdait ici pour y entrer, quand je vous ai quittée; dites que cela n'est pas vrai?
SUZANNE: Quelle imposture! Allez-vous-en, méchant homme!
BAZILE: On est un méchant homme parce qu'on y voit clair. N'est-ce pas pour vous aussi cette romance dont il fait mystère?
SUZANNE, en colère: Ah! oui, pour moi
BAZILE: À moins qu'il ne l'ait composée pour Madame! en effet, quand il sert à table on dit qu'il la regarde avec des yeux!... mais, peste, qu'il ne s'y joue pas; Monseigneur est brutal sur l'article.
SUZANNE, outrée: Et vous bien scélérat, d'aller semant de pareils bruits pour perdre un malheureux enfant tombé dans la disgrâce de son maître.
BAZILE: L'ai-je inventé? Je le dis parce que tout le monde en parle.
LE COMTE se lève: Comment, tout le monde en parle!
SUZANNE: Ah Ciel!
BAZILE: Ah! ah!
LE COMTE: Courez, Bazile, et qu'on le chasse.
BAZILE: Ah! que je suis fâché d'être entré!
SUZANNE, troublée: Mon Dieu! Mon Dieu!
LE COMTE, à Bazile: Elle est saisie. Asseyons-la dans ce fauteuil.
SUZANNE le repousse vivement: Je ne veux pas m'asseoir. Entrer ainsi librement, c'est indigne!
LE COMTE: Nous sommes deux avec toi, ma chère. Il n'y a plus le moindre danger!
BAZILE: Moi je suis désolé de m'être égayé sur le page puisque vous l'entendiez; je n'en usais ainsi que pour pénétrer ses sentiments; car au fond...
LE COMTE: Cinquante pistoles, un cheval, et qu'on le renvoie à ses parents.
BAZILE: Monseigneur, pour un badinage?
LE COMTE: Un petit libertin que j'ai surpris encore hier avec la fille du jardinier.
BAZILE: Avec Fanchette?
LE COMTE: Et dans sa chambre.
SUZANNE, outrée: Où Monseigneur avait sans doute affaire aussi!
LE COMTE, gaiement: J'en aime assez la remarque.
BAZILE: Elle est d'un bon augure.
LE COMTE, gaiement: Mais non; j'allais chercher ton oncle Antonio, mon ivrogne de jardinier, pour lui donner des ordres. Je frappe, on est longtemps à m'ouvrir; ta cousine a l'air empêtré, je prends un soupçon, je lui parle, et, tout en causant, j'examine. Il y avait derrière la porte une espèce de rideau, de portemanteau, de je ne sais pas quoi, qui couvrait des hardes; sans faire semblant de rien, je vais doucement, doucement lever ce rideau, (pour imiter le geste il lève la robe du fauteuil) et je vois... (Il aperçoit le page.) Ah...
BAZILE: Ha! ha!
LE COMTE: Ce tour-ci vaut l'autre.
BAZILE: Encore mieux.
LE COMTE, à Suzanne: A merveille, Mademoiselle: à peine fiancée vous faites de ces apprêts? C'était pour recevoir mon page que vous désiriez d'être seule? Et vous, Monsieur, qui ne changez point de conduite, il vous manquait de vous adresser, sans respect pour votre marraine, à sa première camariste, à la femme de votre ami! mais je ne souffrirai pas que Figaro, qu'un homme que j'estime, et que j'aime, soit victime d'une pareille tromperie: était-il avec vous, Bazile?
SUZANNE, outrée: Il n'y a tromperie, ni victime; il était là lorsque vous me parliez.
LE COMTE, emporté: Puisses-tu mentir en le disant son plus cruel ennemi n'oserait lui souhaiter ce malheur.
SUZANNE: Il me priait d'engager Madame à vous demander sa grâce. Votre arrivée l'a si fort troublé qu'il s'est masqué de ce fauteuil.
LE COMTE, en colère: Ruse d'enfer! je m'y suis assis en entrant.
CHÉRUBIN: Hélas, Monseigneur, j'étais tremblant derrière.
LE COMTE : Autre fourberie! je viens de m'y placer moi-même.
CHÉRUBIN: Pardon, mais c'est alors que je me suis blotti dedans.
LE COMTE, plus outré: C'est donc une couleuvre, que ce petit... serpent-là! il nous écoutait!
CHÉRUBIN: Au contraire, Monseigneur, j'ai fait ce que j'ai pu pour ne rien entendre.
LE COMTE: Ô perfidie! (A Suzanne:) Tu n'épouseras pas Figaro.
BAZILE: Contenez-vous, on vient.
LE COMTE, tirant Chérubin du fauteuil et le mettant sur ses pieds: Il resterait là devant toute la terre
Scène 10
CHÉRUBIN, SUZANNE, FIGARO, LA COMTESSE, LE COMTE, FANCHETTE, BAZILE; beaucoup de valets, paysannes, paysans vêtus de blanc.
FIGARO, tenant une toque de femme, garnie de plumes blanches et de rubans blancs, parle à la Comtesse: Il n'y a que vous, Madame, qui puissiez nous obtenir cette faveur.
LA COMTESSE: Vous les voyez, Monsieur le Comte, ils me supposent un crédit que je n'ai point: mais comme leur demande n'est pas déraisonnable...
LE COMTE, embarrassé: Il faudrait qu'elle le fût beaucoup...
FIGARO, bas à Suzanne: Soutiens bien mes efforts.
SUZANNE, bas à Figaro: Qui ne mèneront à rien.
FIGARO, bas: Va toujours.
LE COMTE, à Figaro: Que voulez-vous?
FIGARO: Monseigneur, vos vassaux, touchés de l'abolition d'un certain droit fâcheux, que votre amour pour Madame...
LE COMTE: Eh bien, ce droit n'existe plus, que veux-tu dire?
FIGARO, malignement: Qu'il est bien temps que la vertu d'un si bon maître éclate; elle m'est d'un tel avantage, aujourd'hui, que je désire être le premier à la célébrer à mes noces.
LE COMTE, plus embarrassé: Tu te moques, ami l'abolition d'un droit honteux n'est que l'acquit d'une dette envers l'honnêteté. Un Espagnol peut vouloir conquérir la beauté par des soins; mais en exiger le premier, le plus doux emploi, comme une servile redevance, ah! c'est la tyrannie d'un Vandale, et non le droit avoué d'un noble Castillan.
FIGARO, tenant Suzanne par la main: Permettez donc que cette jeune créature, de qui votre sagesse a préservé l'honneur, reçoive de votre main publiquement la toque virginale, ornée de plumes et de rubans blancs, symbole de la pureté de vos intentions; adoptez-en la cérémonie pour tous les mariages, et qu'un quatrain chanté en choeur rappelle à jamais le souvenir...
LE COMTE, embarrassé: Si je ne savais pas qu'amoureux, poète et musicien sont trois titres d'indulgence pour toutes les folies...
FIGARO: Joignez-vous à moi, mes amis.
TOUS ENSEMBLE: Monseigneur! Monseigneur!
SUZANNE, au Comte: Pourquoi fuir un éloge que vous méritez si bien?
LE COMTE, à part: La perfide !
FIGARO: Regardez-la donc, Monseigneur; jamais plus jolie fiancée ne montrera mieux la grandeur de votre sacrifice.
SUZANNE: Laisse là ma figure, et ne vantons que sa vertu.
LE COMTE, à part: C'est un jeu que tout ceci.
LA COMTESSE: Je me joins à eux, Monsieur le Comte et cette cérémonie me sera toujours chère, puisqu'elle doit son motif à l'amour charmant que vous aviez pour moi.
LE COMTE: Que j'ai toujours, Madame; et c'est à ce titre que je me rends.
TOUS ENSEMBLE: Vivat
LE COMTE, à part: Je suis pris. (Haut.) Pour que la cérémonie eût un peu plus d'éclat, je voudrais seulement qu'on la remit à tantôt. (A part.) Faisons vite chercher Marceline.
FIGARO, à Chérubin: Eh bien, espiègle! vous n'applaudissez pas?
SUZANNE: Il est au désespoir; Monseigneur le renvoie.
LA COMTESSE: Ah! Monsieur, je demande sa grâce.
LE COMTE: Il ne la mérite point.
LA COMTESSE: Hélas! il est si jeune !
LE COMTE: Pas tant que vous le croyez.
CHÉRUBIN, tremblant: Pardonner généreusement n'est pas le droit du seigneur auquel vous avez renoncé en épousant Madame.
LA COMTESSE: Il n'a renoncé qu'à celui qui vous affligeait tous.
SUZANNE: Si Monseigneur avait cédé le droit de pardonner, ce serait sûrement le premier qu'il voudrait racheter en secret.
LE COMTE, embarrassé: Sans doute.
LA COMTESSE: Eh! pourquoi le racheter?
CHÉRUBIN, au Comte: Je fus léger dans ma conduite, il est vrai, Monseigneur; mais jamais la moindre indiscrétion dans mes paroles...
LE COMTE, embarrassé: Eh bien, c'est assez...
FIGARO: Qu'entend-il?
LE COMTE, vivement: C'est assez, c'est assez, tout le monde exige son pardon, je l'accorde, et j'irai plus loin je lui donne une compagnie dans ma légion.
TOUS ENSEMBLE: Vivat!
LE COMTE: Mais c'est à condition qu'il partira sur le champ pour joindre en Catalogne.
FIGARO: Ah! Monseigneur, demain.
LE COMTE insiste: Je le veux.
CHÉRUBIN: J'obéis.
LE COMTE: Saluez votre marraine, et demandez sa protection. (Chérubin met un genou en terre devant la Comtesse, et ne peut parler.)
LA COMTESSE, émue: Puisqu'on ne peut vous garder seulement aujourd'hui, partez, jeune homme. Un nouvel état vous appelle; allez le remplir dignement. Honorez votre bienfaiteur. Souvenez-vous de cette maison, où votre jeunesse a trouvé tant d'indulgence. Soyez soumis, honnête et brave; nous prendrons part à vos succès.
Chérubin se relève, et retourne à sa place.
LE COMTE: Vous êtes bien émue, Madame!
LA COMTESSE: Je ne m'en défends pas. Qui sait le sort d'un enfant jeté dans une carrière aussi dangereuse? Il est allié de mes parents; et de plus, il est mon filleul.
LE COMTE, à part: Je vois que Bazile avait raison. (Haut.) Jeune homme, embrassez Suzanne... pour la dernière fois.
FIGARO: Pourquoi cela, Monseigneur? Il viendra passer ses hivers. Baise-moi donc aussi, capitaine! (Il l'embrasse.) Adieu, mon petit Chérubin. Tu vas mener un train de vie bien différent, mon enfant: dame tu ne rôderas plus tout le jour au quartier des femmes plus d'échaudés, de goûters à la crème; plus de main chaude, ou de colin-maillard. De bons soldats, morbleu! basanés, mal vêtus; un grand fusil bien lourd; tourne à droite, tourne à gauche, en avant, marche à la gloire; et ne va pas broncher en chemin; à moins qu'un bon coup de feu...
SUZANNE: Fi donc, l'horreur!
LA COMTESSE: Quel pronostic !
LE COMTE: Où donc est Marceline? Il est bien singulier qu'elle ne soit pas des vôtres.
FANCHETTE: Monseigneur, elle a pris le chemin du bourg, par le petit sentier de la ferme.
LE COMTE: Et elle en reviendra?
BAZILE: Quand il plaira à Dieu.
FIGARO: S'il lui plaisait qu'il ne lui plût jamais...
FANCHETTE: Monsieur le Docteur lui donnait le bras.
LE COMTE, vivement: Le docteur est ici?
BAZILE: Elle s'en est d'abord emparée...
LE COMTE, à part: Il ne pouvait venir plus à propos.
FANCHETTE: Elle avait l'air bien échauffé, elle parlait tout haut en marchant, puis elle s'arrêtait, et faisait comme ça, de grands bras... et Monsieur le Docteur lui faisait comme ça de la main, en l'apaisant: elle paraissait si courroucée! elle nommait mon cousin Figaro.
LE COMTE lui prend le menton: Cousin... futur.
FANCHETTE, montrant Chérubin: Monseigneur, nous avez-vous pardonné d'hier?...
LE COMTE interrompt: Bonjour, bonjour, petite.
FIGARO: C'est son chien d'amour qui la berce; elle aurait troublé notre fête.
LE COMTE, à part: Elle la troublera, je t'en réponds. (Haut.) Allons, Madame, entrons. Bazile, vous passerez chez moi.
SUZANNE, à Figaro: Tu me rejoindras, mon fils?
FIGARO, bas à Suzanne: Est-il bien enfilé?
SUZANNE, bas: Charmant garçon
Ils sortent tous.
Scène 11
CHÉRUBIN, FIGARO, BAZILE.
Pendant qu'on sort, Figaro les arrête tous deux et les ramène.
FIGARO: Ah ça, vous autres! la cérémonie adoptée, ma fête de ce soir en est la suite; il faut bravement nous recorder: ne faisons point comme ces acteurs qui ne jouent jamais si mal que le jour où la critique est le plus éveillée. Nous n'avons point de lendemain qui nous excuse, nous. Sachons bien nos rôles aujourd'hui.
BAZILE, malignement: Le mien est plus difficile que tu ne crois.
FIGARO, faisant, sans qu'il le voie, le geste de le rosser: Tu es loin aussi de savoir tout le succès qu'il te vaudra.
CHÉRUBIN: Mon ami, tu oublies que je pars.
FIGARO: Et toi, tu voudrais bien rester !
CHÉRUBIN: Ah! si je le voudrais!
FIGARO: Il faut ruser. Point de murmure à ton départ. Le manteau de voyage à l'épaule; arrange ouvertement ta trousse, et qu'on voie ton cheval à la grille; un temps de galop jusqu'à la ferme; reviens à pied par les derrières; Monseigneur te croira parti; tiens-toi seulement hors de sa vue; je me charge de l'apaiser après la fête.
CHÉRUBIN: Mais Fanchette qui ne sait pas son rôle!
BAZILE: Que diable lui apprenez-vous donc, depuis huit jours que vous ne la quittez pas?
FIGARO: Tu n'as rien à faire aujourd'hui, donne-lui par grâce une leçon.
BAZILE: Prenez garde, jeune homme, prenez garde! le père n'est pas satisfait; la fille a été souffletée; elle n'étudie pas avec vous: Chérubin! Chérubin! vous lui causerez des chagrins! "Tant va la cruche à l'eau"!...
FIGARO: Ah! voilà notre imbécile, avec ses vieux proverbes! Eh bien! pédant! que dit la sagesse des nations? "Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin..."
BAZILE: Elle s'emplit.
FIGARO, en s'en allant: Pas si bête, pourtant, pas si bête !
SUZANNE, LA COMTESSE entrent par la porte à droite.
alcôve, une estrade au-devant. La porte pour entrer s'ouvre et se ferme à la troisième coulisse à droite, celle d'un cabinet, à la première coulisse à gauche. Une porte, dans le fond, va chez les femmes. Une fenêtre s'ouvre de l'autre côté.Scène 1
LA COMTESSE se jette dans une bergère: Ferme la porte, Suzanne, et conte-moi tout, dans le plus grand détail.
SUZANNE: Je n'ai rien caché à Madame.
LA COMTESSE: Quoi, Suzon, il voulait te séduire?
SUZANNE: Oh! que non! Monseigneur n'y met pas tant de façons avec sa servante: il voulait m'acheter.
LA COMTESSE: Et le petit page était présent?
SUZANNE: C'est-à-dire, caché derrière le grand fauteuil. Il venait me prier de vous demander sa grâce.
LA COMTESSE: Eh! pourquoi ne pas s'adresser à moi-même? est-ce que je l'aurais refusé, Suzon?
SUZANNE: C'est ce que j'ai dit: mais ses regrets de partir, et surtout de quitter Madame! "Ah! Suzon, qu'elle est noble et belle! mais qu'elle est imposante !"
LA COMTESSE: Est-ce que j'ai cet air-là, Suzon? moi qui l'ai toujours protégé.
SUZANNE: Puis il a vu votre ruban de nuit que je tenais, il s'est jeté dessus...
LA COMTESSE, souriant: Mon ruban?... quelle enfance?
SUZANNE: J'ai voulu le lui ôter; Madame, c'était un lion; ses yeux brillaient... "Tu ne l'auras qu'avec ma vie", disait-il, en forçant sa petite voix douce et grêle.
LA COMTESSE, rêvant: Eh bien, Suzon?
SUZANNE: Eh bien, Madame, est-ce qu'on peut faire finir ce petit démon-là? ma marraine par-ci; je voudrais bien par l’autre; et parce qu'il n'oserait seulement baiser la robe de Madame, il voudrait toujours m'embrasser, moi.
LA COMTESSE, rêvant: Laissons... laissons ces folies... Enfin, ma pauvre Suzanne, mon époux a fini par te dire...?
SUZANNE: Que si je ne voulais pas l'entendre, il allait protéger Marceline.
LA COMTESSE se lève et se promène, en se servant fortement de l'éventail: Il ne m'aime plus du tout.
SUZANNE: Pourquoi tant de jalousie?
LA COMTESSE: Comme tous les maris, ma chère! uniquement par orgueil. Ah! je l'ai trop aimé! je l'ai lassé de mes tendresses, et fatigué de mon amour; voilà mon seul tort avec lui. Mais je n'entends pas que cet honnête aveu te nuise, et tu épouseras Figaro. Lui seul peut nous y aider: viendra-t-il?
SUZANNE: Dès qu'il verra partir la chasse.
LA COMTESSE, se servant de l'éventail: Ouvre un peu la croisée sur le jardin. Il fait une chaleur ici!...
SUZANNE: C'est que Madame parle et marche avec action
Elle va ouvrir la croisée du fond.
LA COMTESSE rêvant longtemps: Sans cette constance à me fuir... Les hommes sont bien coupables!
SUZANNE crie de la fenêtre: Ah! voilà Monseigneur qui traverse à cheval le grand potager, suivi de Pédrille, avec deux, trois, quatre lévriers.
LA COMTESSE: Nous avons du temps devant nous. (Elle s'assied.) On frappe, Suzon?
SUZANNE court ouvrir en chantant: Ah! c'est mon Figaro! ah! c'est mon Figaro!Scène 2
FIGARO, SUZANNE, LA COMTESSE, assise.
SUZANNE: Mon cher ami! viens donc. Madame est dans une impatience!...
FIGARO: Et toi, ma petite Suzanne? Madame n'en doit prendre aucune. Au fait, de quoi s'agit-il? d'une misère. Monsieur le Comte trouve notre jeune femme aimable, il voudrait en faire sa maîtresse; et c'est bien naturel.
SUZANNE: Naturel?
FIGARO: Puis il m'a nommé courrier de dépêches, et Suzon conseiller d'ambassade. Il n'y a pas là d'étourderie.
SUZANNE: Tu finiras?
FIGARO: Et parce que Suzanne, ma fiancée, n'accepte pas le diplôme, il va favoriser les vues de Marceline; quoi de plus simple encore? Se venger de ceux qui nuisent à nos projets en renversant les leurs; c'est ce que chacun fait; ce que nous allons faire nous-mêmes. Eh bien! voilà tout pourtant.
LA COMTESSE: Pouvez-vous, Figaro, traiter si légèrement un dessein qui nous coûte à tous le bonheur?
FIGARO: Qui dit cela, Madame?
SUZANNE: Au lieu de t'affliger de nos chagrins...
FIGARO: N'est-ce pas assez que je m'en occupe? Or, pour agir aussi méthodiquement que lui, tempérons, d'abord, son ardeur de nos possessions, en l'inquiétant sur les siennes.
LA COMTESSE: C'est bien dit; mais comment?
FIGARO: C'est déjà fait, Madame; un faux avis donné sur vous...
LA COMTESSE: Sur moi? la tête vous tourne!
FIGARO: Oh! c'est à lui qu'elle doit tourner.
LA COMTESSE: Un homme aussi jaloux!...
FIGARO: Tant mieux: pour tirer parti des gens de ce caractère, il ne faut qu'un peu leur fouetter le sang; c'est ce que les femmes entendent si bien! Puis, les tient-on fâchés tout rouge, avec un brin d'intrigue on les mène où l'on veut, par le nez, dans le Guadalquivir. Je vous ai fait rendre à Bazile un billet inconnu, lequel avertit Monseigneur qu'un galant doit chercher à vous voir aujourd'hui pendant le bal.
LA COMTESSE: Et vous vous jouez ainsi de la vérité sur le compte d'une femme d'honneur...
FIGARO: Il y en a peu, Madame, avec qui je l'eusse osé, crainte de rencontrer juste.
LA COMTESSE: Il faudra que je l'en remercie !
FIGARO: Mais dites-moi s'il n'est pas charmant de lui avoir taillé ses morceaux de la journée, de façon qu'il passe à rôder, à jurer après sa dame, le temps qu'il destinait à se complaire avec la nôtre? Il est déjà tout dérouté: galopera-t-il celle-ci? surveillera-t-il celle-là? dans son trouble d'esprit, tenez, tenez, le voilà qui court la plaine, et force un lièvre qui n'en peut mais. L'heure du mariage arrive en poste; il n'aura pas pris de parti contre; et jamais il n'osera s'y opposer devant Madame.
SUZANNE: Non; mais Marceline, le bel esprit osera le faire, elle.
FIGARO: Brrr. Cela m'inquiète bien, ma foi! Tu feras dire à Monseigneur que tu te rendras sur la brune au jardin.
SUZANNE: Tu comptes sur celui-là?
FIGARO: Oh! dame! écoutez donc; les gens qui ne veulent rien faire de rien, n'avancent rien, et ne sont bons à rien. Voilà mon mot.
SUZANNE: Il est joli!
LA COMTESSE: Comme son idée: vous consentiriez qu'elle s'y rendit?
FIGARO: Point du tout. Je fais endosser un habit de Suzanne à quelqu'un: surpris par nous au rendez-vous, le Comte pourra-t-il s'en dédire?
SUZANNE: À qui mes habits?
FIGARO: Chérubin.
LA COMTESSE: Il est parti.
FIGARO: Non pas pour moi: veut-on me laisser faire?
SUZANNE: On peut s'en fier à lui pour mener une intrigue.
FIGARO: Deux, trois, quatre à la fois; bien embrouillées, qui se croisent. J'étais né pour être courtisan.
SUZANNE: On dit que c'est un métier si difficile !
FIGARO: Recevoir, prendre et demander; voilà le secret en trois mots.
LA COMTESSE: Il a tant d'assurance qu'il finit par m'en inspirer.
FIGARO: C'est mon dessein.
SUZANNE: Tu disais donc?
FIGARO: Que pendant l'absence de Monseigneur je vais vous envoyer le Chérubin: coiffez-le, habillez-le; je le renferme et l'endoctrine, et puis dansez, Monseigneur.
Il sort.
Scène 3
SUZANNE, LA COMTESSE, assise.
LA COMTESSE, tenant sa boîte à mouches: Mon Dieu, Suzon, comme je suis faite!... ce jeune homme qui va venir!...
SUZANNE: Madame ne veut donc pas qu'il en réchappe?
LA COMTESSE rêve devant sa petite glace: Moi?... tu verras comme je vais le gronder.
SUZANNE: Faisons-lui chanter sa romance.
Elle la met sur la Comtesse.
LA COMTESSE: Mais, c'est qu'en vérité, mes cheveux sont dans un désordre...
SUZANNE, riant: Je n'ai qu'à reprendre ces deux boucles, Madame le grondera bien mieux.
LA COMTESSE, revenant à elle: Qu'est-ce que vous dites donc, Mademoiselle?
Scène 4
CHÉRUBIN, l'air honteux, SUZANNE, LA COMTESSE,
assise.SUZANNE: Entrez, Monsieur l'officier; on est visible.
CHÉRUBIN avance en tremblant: Ah, que ce nom m'afflige, Madame! il m'apprend qu'il faut quitter des lieux... une marraine si... bonne!
SUZANNE: Et si belle!
CHÉRUBIN, avec un soupir: Ah ! oui.
SUZANNE le contrefait: " Ah ! oui. " Le bon jeune homme! avec ses longues paupières hypocrites. Allons, bel oiseau bleu, chantez la romance à Madame.
LA COMTESSE la déplie: De qui... dit-on qu'elle est?
SUZANNE: Voyez la rougeur du coupable: en a-t-il un pied sur les joues?
CHÉRUBIN: Est-ce qu'il est défendu... de chérir...
SUZANNE lui met le poing sous le nez: Je dirai tout, vaurien!
LA COMTESSE: Là... chante-t-il?
CHÉRUBIN: Oh! Madame, je suis si tremblant!...
SUZANNE, en riant: Et gnian, gnian, gnian, gnian, gnian, gnian, gnian; dès que Madame le veut, modeste auteur! Je vais l'accompagner.
LA COMTESSE: Prends ma guitare.
La Comtesse, assise, tient le papier pour suivre. Suzanne est derrière son fauteuil, et prélude en regardant la musique par-dessus sa maîtresse. Le petit page est devant elle, les yeux baissés. Ce tableau est juste la belle estampe d'après Van Loo, appelée La Conversation espagnole.
ROMANCE
Air: Marlborough s'en va-t-en guerre.
Premier couplet
Mon coursier hors d'haleine,
(Que mon coeur, mon coeur a de peine!)
J'errais de plaine en plaine,
Au gré du destrier.
Deuxième couplet
Au gré du destrier,
Sans varlet, n'écuyer
Là près d'une fontaine
(Que mon coeur, mon coeur a de peine !)
Songeant à ma marraine,
Sentais mes pleurs couler.
Troisième couplet
Sentais mes pleurs couler,Quatrième couplet
Le Roi vint à passer,
Ses barons, son clergier
" Beau page, dit la reine,
(Que mon coeur, mon coeur a de peine !)
Qui vous met à la gêne?
Qui vous fait tant plorer?
Cinquième couplet
Qui vous fait tant plorer?
Nous faut le déclarer.
- Madame et Souveraine,
(Que mon coeur, mon coeur a de peine !)
J'avais une marraine,
Que toujours adorai.
Sixième couplet
Que toujours adorai;Septième couplet
Je vous en servirai;
Mon page vous ferai;
Puis à ma jeune Hélène,
(Que mon coeur, mon coeur a de peine !)
Fille d'un capitaine,
Un jour vous marirai.
Huitième couplet
Un jour vous marirai.
-Nenni n'en faut parler;
Je veux, traînant ma chaîne,
(Que mon coeur, mon coeur a de peine !)
Mourir de cette peine;
Mais non m'en consoler. "
LA COMTESSE: Il a de la naïveté... du sentiment même.
SUZANNE va poser la guitare sur un fauteuil : Oh pour du sentiment, c'est un jeune homme qui... Ah ça! Monsieur l'officier, vous a-t-on dit que pour égayer la soirée, nous voulons savoir d'avance si un de mes habits vous ira passablement?
LA COMTESSE: J'ai peur que non.
SUZANNE se mesure avec lui: Il est de ma grandeur. Ôtons d'abord le manteau. (Elle le détache.)
LA COMTESSE: Et si quelqu'un entrait?
SUZANNE: Est-ce que nous faisons du mal donc? Je vais fermer la porte; (elle court) mais c'est la coiffure que je veux voir.
LA COMTESSE: Sur ma toilette, une baigneuse à moi.
Suzanne entre dans le cabinet dont la porte est au bord du théâtre.
Scène 5
CHÉRUBIN, LA COMTESSE, assise.
LA COMTESSE: Jusqu'à l'instant du bal, le Comte ignorera que vous soyez au château. Nous lui dirons, après, que le temps d'expédier votre brevet nous a fait naître l'idée...
CHÉRUBIN le lui montre: Hélas! Madame, le voici; Bazile me l'a remis de sa part.
LA COMTESSE: Déjà? l'on a craint d'y perdre une minute. (Elle lit.) Ils se sont tant pressés qu'ils ont oublié d'y mettre son cachet.
Elle le lui rend.
Scène 6
CHÉRUBIN, LA COMTESSE, SUZANNE.
SUZANNE entre avec un grand bonnet: Le cachet, à quoi?
LA COMTESSE: A son brevet.
SUZANNE: Déjà?
LA COMTESSE: C'est ce que je disais. Est-ce là ma baigneuse?
SUZANNE s'assied près de la Comtesse: Et la plus belle de toutes. (Elle chante avec des épingles dans sa bouche:)
(Chérubin se met à genoux. Elle le coiffe.) Madame, il est charmant!
LA COMTESSE: Arrange son collet, d'un air un peu plus féminin.
SUZANNE l'arrange: Là... mais voyez donc ce morveux, comme il est joli en fille! j'en suis jalouse, moi! (Elle lui prend le menton.) Voulez-vous bien n'être pas joli comme ça?
LA COMTESSE: Qu'elle est folle! Il faut relever la manche, afin que l'amadis prenne mieux... (Elle la retrousse.) Qu'est-ce qu'il a donc au bras? un ruban!
SUZANNE: Et un ruban à vous. Je suis bien aise que Madame l'ait vu. Je lui avais dit que je le dirais, déjà! Oh! si Monseigneur n'était pas venu, j'aurais bien repris le ruban; car je suis presque aussi forte que lui.
LA COMTESSE: Il y a du sang! (Elle détache le ruban.)
CHÉRUBIN, honteux: Ce matin, comptant partir, j'arrangeais la gourmette de mon cheval; il a donné de la tête, et la bossette m'a effleuré le bras.
LA COMTESSE: On n'a jamais mis un ruban...
SUZANNE: Et surtout un ruban volé. Voyons donc... ce que la bossette,... la courbette! ... la cornette du cheval!... Je n'entends rien à tous ces noms-là. Ah! qu'il a le bras blanc! c'est comme une femme! plus blanc que le mien! regardez donc, Madame! (Elle les compare.)
LA COMTESSE d'un ton glacé: Occupez-vous plutôt de m'avoir du taffetas gommé, dans ma toilette.
Suzanne lui pousse la tête, en riant; il tombe sur les deux mains. Elle entre dans le cabinet au bord du théâtre.
Scène 7
CHÉRUBIN à genoux, LA COMTESSE
assise.LA COMTESSE reste un moment sans parler, les yeux sur son ruban. Chérubin la dévore de ses regards: Pour mon ruban, Monsieur... comme c'est celui dont la couleur m'agrée le plus... j'étais fort en colère de l'avoir perdu.
Scène 8
CHÉRUBIN à genoux, LA COMTESSE, assise, SUZANNE.
SUZANNE, revenant: Et la ligature à son bras?
Elle remet à la Comtesse du taffetas gommé et des ciseaux.
LA COMTESSE: En allant lui chercher tes hardes prends le ruban d'un autre bonnet.
Suzanne sort par la porte du fond, en emportant le manteau du page.
Scène 9
CHÉRUBIN à genoux, LA COMTESSE,
assise.CHÉRUBIN, les yeux baissés: Celui qui m'est ôté m'aurait guéri en moins de rien.
LA COMTESSE: Par quelle vertu? (Lui montrant le taffetas.) Ceci vaut mieux.
CHÉRUBIN, hésitant: Quand un ruban... a serré la tête... ou touché la peau d'une personne...
LA COMTESSE, coupant la phrase: ... étrangère, il devient bon pour les blessures? J'ignorais cette propriété. Pour l'éprouver, je garde celui-ci qui vous a serré le bras. A la première égratignure... de mes femmes, j'en ferai l'essai.
CHÉRUBIN, pénétré :Vous le gardez, et moi, je pars.
LA COMTESSE: Non pour toujours.
CHÉRUBIN: Je suis si malheureux
LA COMTESSE, émue: Il pleure à présent! c'est ce vilain Figaro avec son pronostic!
CHÉRUBIN, exalté: Ah! je voudrais toucher au terme qu'il m'a prédit! sûr de mourir à l'instant, peut-être ma bouche oserait...
LA COMTESSE l'interrompt, et lui essuie les yeux avec son mouchoir: Taisez-vous, taisez-vous, enfant. Il n'y a pas un brin de raison dans tout ce que vous dites. (On frappe à la porte, elle élève la voix.) Qui frappe ainsi chez moi?
Scène 10
CHÉRUBIN, LA COMTESSE, LE COMTE, en dehors.
LE COMTE, en dehors: Pourquoi donc enfermée?
LA COMTESSE, troublée, se lève: C'est mon époux ! grands dieux!... (À Chérubin qui s'est levé aussi:) Vous sans manteau, le col et les bras nus! seul avec moi! cet air de désordre, un billet reçu, sa jalousie!...
LE COMTE, en dehors: Vous n'ouvrez pas?
LA COMTESSE: C'est que... je suis seule.
LE COMTE, en dehors: Seule! Avec qui parlez-vous donc?
LA COMTESSE, cherchant: ... Avec vous sans doute.
CHÉRUBIN, à part: Après les scènes d'hier, et de ce matin, il me tuerait sur la place!
Il court au cabinet de toilette, y entre, et tire la porte sur lui.
Scène 11
LA COMTESSE, seule, en ôte la clef et court ouvrir au Comte.
Ah! quelle faute! quelle faute!
Scène 12
LE COMTE, LA COMTESSE.
LE COMTE un peu sévère Vous n'êtes pas dans l'usage de vous enfermer!
LA COMTESSE, troublée: Je... je chiffonnais... oui je chiffonnais, avec Suzanne ; elle est passée un moment chez elle.
LE COMTE l'examine: Vous avez l'air et le ton bien altérés!
LA COMTESSE: Cela n'est pas étonnant... pas étonnant du tout... je vous assure... nous parlions de vous... elle est passée, comme je vous dis.
LE COMTE: Vous parliez de moi!... Je suis ramené par l'inquiétude; en montant à cheval, un billet qu'on m'a remis, mais auquel je n'ajoute aucune foi, m'a... pourtant agité.
LA COMTESSE: Comment, Monsieur?... quel billet?
LE COMTE: Il faut avouer, Madame, que vous ou moi sommes entourés d'êtres... bien méchants! On me donne avis que, dans la journée, quelqu'un, que je crois absent, doit chercher à vous entretenir.
LA COMTESSE Quel que soit cet audacieux, il faudra qu'il pénètre ici car mon projet est de ne pas quitter ma chambre de tout le jour.
LE COMTE: Ce soir, pour la noce de Suzanne?
LA COMTESSE: Pour rien au monde; je suis très incommodée.
LE COMTE: Heureusement le docteur est ici. (Le page fait tomber une chaise dans le cabinet.) Quel bruit entends-je?
LA COMTESSE, Plus troublée: Du bruit?
LE COMTE: On a fait tomber un meuble.
LA COMTESSE: Je... je n'ai rien entendu, pour moi.
LE COMTE: Il faut que vous soyez furieusement préoccupée!
LA COMTESSE: Préoccupée! de quoi?
LE COMTE: Il y a quelqu'un dans ce cabinet, Madame.
LA COMTESSE: Hé... qui voulez-vous qu'il y ait, Monsieur?
LE COMTE: C'est moi qui vous le demande; j'arrive.
LA COMTESSE: Hé mais... Suzanne apparemment qui range.
]LE COMTE: Vous avez dit qu'elle était passée chez elle!
LA COMTESSE: Passée... ou entrée là; je ne sais lequel.
LE COMTE: Si c'est Suzanne, d'où vient le trouble où je vous vois?
LA COMTESSE: Du trouble pour ma camariste?
LE COMTE: Pour votre camariste, je ne sais; mais pour du trouble, assurément.
LA COMTESSE : Assurément, Monsieur, cette fille vous trouble, et vous occupe beaucoup plus que moi.
LE COMTE, en colère: Elle m'occupe à tel point, Madame, que je veux la voir à l'instant.
LA COMTESSE: Je crois, en effet, que vous le voulez souvent; mais voilà bien les soupçons les moins fondés...
Scène 13
LE COMTE, LA COMTESSE, SUZANNE entre avec des hardes et pousse la porte du fond.
LE COMTE: Ils en seront plus aisés à détruire. (Il parle au cabinet.) Sortez, Suzon; je vous l'ordonne.
Suzanne s'arrête auprès de l'alcôve dans le fond.
LA COMTESSE: Elle est presque nue, Monsieur; vient-on troubler ainsi des femmes dans leur retraite? Elle essayait des hardes que je lui donne en la mariant; elle s'est enfuie quand elle vous a entendu.
LE COMTE: Si elle craint tant de se montrer, au moins elle peut parler. (Il se tourne vers la porte du cabinet.) Répondez-moi, Suzanne; êtes-vous dans ce cabinet?
Suzanne, restée au fond, se jette dans l'alcôve et s'y cache.
LA COMTESSE, vivement, parlant au cabinet: Suzon, je vous défends de répondre. (Au Comte:) On n'a jamais poussé si loin la tyrannie!
LE COMTE s'avance au cabinet: Oh! bien, puisqu'elle ne parle pas, vêtue ou non, je la verrai.
LA COMTESSE se met au-devant: Partout ailleurs je ne puis l'empêcher; mais j'espère aussi que chez moi...
LE COMTE: Et moi j'espère savoir dans un moment quelle est cette Suzanne mystérieuse. Vous demander la clef serait, je le vois, inutile! mais il est un moyen sûr de jeter en dedans cette légère porte. Holà! quelqu'un!
LA COMTESSE: Attirer vos gens, et faire un scandale public d'un soupçon qui nous rendrait la fable du château?
LE COMTE: Fort bien, Madame; en effet, j'y suffirai je vais à l'instant prendre chez moi ce qu'il faut... (Il marche pour sortir et revient.) Mais pour que tout reste au même état, voudrez-vous bien m'accompagner sans scandale et sans bruit, puisqu'il vous déplaît tant?... une chose aussi simple, apparemment, ne me sera pas refusée!
LA COMTESSE, troublée: Eh! Monsieur, qui songe à vous contrarier?
LE COMTE: Ah! j'oubliais la porte qui va chez vos femmes; il faut que je la ferme aussi, pour que vous soyez pleinement justifiée.
Il va fermer la porte du fond, et en ôte la clef.
LA COMTESSE, à part: Ô Ciel étourderie funeste !
LE COMTE, revenant à elle Maintenant que cette chambre est close, acceptez mon bras, je vous prie; (il élève la voix) et quant à la Suzanne du cabinet, il faudra qu'elle ait la bonté de m'attendre, et le moindre mal qui puisse lui arriver à mon retour...
LA COMTESSE: En vérité, Monsieur, voilà bien la plus odieuse aventure...
Le Comte l'emmène et ferme la porte à la clef.
Scène 14
SUZANNE, CHÉRUBIN.
SUZANNE sort de l'alcôve, accourt au cabinet et parle à la serrure: Ouvrez, Chérubin, ouvrez vite, c'est Suzanne; ouvrez et sortez.
CHÉRUBIN sort,: Ah! Suzon, quelle horrible scène !
SUZANNE: Sortez, vous n'avez pas une minute.
CHÉRUBIN, effrayé: Eh! par où sortir?
SUZANNE: Je n'en sais rien, mais sortez.
CHÉRUBIN: S'il n'y a pas d'issue?
SUZANNE: Après la rencontre de tantôt, il vous écraserait, et nous serions perdues. Courez conter à Figaro...
CHÉRUBIN: La fenêtre du jardin n'est peut-être pas bien haute. (Il court y regarder.)
SUZANNE, avec effroi: Un grand étage! impossible Ah! ma pauvre maîtresse! Et mon mariage, ô Ciel!
CHÉRUBIN revient: Elle donne sur la melonnière ; quitte à gâter une couche ou deux.
SUZANNE le retient et s'écrie: Il va se tuer !
CHÉRUBIN, exalté: Dans un gouffre allumé, Suzon! oui, je m'y jetterais, plutôt que de lui nuire... Et ce baiser va me porter bonheur.
Il l'embrasse et court sauter par la fenêtre.
Scène 15
SUZANNE, seule, un cri de frayeur.
Ah!... (Elle tombe assise un moment. Elle va péniblement regarder à la fenêtre et revient.) Il est déjà bien loin. Oh! le petit garnement! aussi leste que joli! si celui-là manque de femmes... Prenons sa place au plus tôt. (En entrant dans le cabinet.) Vous pouvez à présent, Monsieur le Comte, rompre la cloison, si cela vous amuse; au diantre qui répond un mot.
Elle s'y enferme.
Scène 16
LE COMTE, LA COMTESSE rentrent dans la chambre.
LE COMTE, une pince à la main, qu'il jette sur le fauteuil: Tout est bien comme je l'ai laissé. Madame, en m'exposant à briser cette porte, réfléchissez aux suites encore une fois, voulez-vous l'ouvrir?
LA COMTESSE: Eh, Monsieur, quelle horrible humeur peut altérer ainsi les égards entre deux époux? Si l'amour vous dominait au point de vous inspirer ces fureurs, malgré leur déraison je les excuserais; j'oublierais, peut-être, en faveur du motif, ce qu'elles ont d'offensant pour moi. Mais la seule vanité peut-elle jeter dans cet excès un galant homme?
LE COMTE: Amour ou vanité, vous ouvrirez la porte ou je vais à l'instant...
LA COMTESSE, au-devant: Arrêtez, Monsieur, je vous prie. Me croyez-vous capable de manquer à ce que je me dois?
LE COMTE: Tout ce qu'il vous plaira, Madame; mais je verrai qui est dans ce cabinet.
LA COMTESSE, effrayée: Eh bien, Monsieur, vous le verrez. Écoutez-moi... tranquillement.
LE COMTE: Ce n'est donc pas Suzanne?
LA COMTESSE, timidement: Au moins n'est-ce pas non plus une personne... dont vous deviez rien redouter... Nous disposions une plaisanterie... bien innocente en vérité, pour ce soir... et je vous jure...
LE COMTE: Et vous me jurez?
LA COMTESSE: Que nous n'avions pas plus de dessein de vous offenser l'un que l'autre.
LE COMTE, vite: L'un que l'autre? c'est un homme?
LA COMTESSE: Un enfant, Monsieur.
LE COMTE: Hé qui donc?
LA COMTESSE: À peine osé-je le nommer!
LE COMTE, furieux: Je le tuerai.
LA COMTESSE: Grands dieux !
LE COMTE: Parlez donc.
LA COMTESSE: Ce jeune... Chérubin...
LE COMTE: Chérubin! l'insolent! voilà mes soupçons, et le billet expliqués.
LA COMTESSE, joignant les mains: Ah! Monsieur, gardez de penser...
LE COMTE, frappant du pied: (À part.) Je trouverai partout ce maudit page! (Haut.) Allons, Madame, ouvrez; je sais tout maintenant. Vous n'auriez pas été si émue, en le congédiant ce matin, il serait parti quand je l'ai ordonné, vous n'auriez pas mis tant de fausseté dans votre conte de Suzanne, il ne se serait pas si soigneusement caché, s'il n'y avait rien de criminel.
LA COMTESSE: Il a craint de vous irriter en se montrant.
LE COMTE, hors de lui, crie au cabinet: Sors donc, petit malheureux!
LA COMTESSE le prend à bras-le-corps, en l'éloignant: Ah! Monsieur, Monsieur, votre colère me fait trembler pour lui. N'en croyez pas un injuste soupçon, de grâce et que le désordre où vous l'allez trouver...
LE COMTE: Du désordre!
LA COMTESSE: Hélas oui; prêt à s'habiller en femme, une coiffure à moi sur la tête, en veste et sans manteau, le col ouvert, les bras nus; il allait essayer...
LE COMTE: Et vous vouliez garder votre chambre ! Indigne épouse! ah! vous la garderez... longtemps; mais il faut, avant, que j'en chasse un insolent, de manière à ne plus le rencontrer nulle part.
LA COMTESSE se jette à genoux, les bras élevés: Monsieur le Comte, épargnez un enfant; je ne me consolerais pas d'avoir causé...
LE COMTE: Vos frayeurs aggravent son crime.
LA COMTESSE: Il n'est pas coupable, il partait: c'est moi qui l'ai fait appeler.
LE COMTE, furieux: Levez-vous. Otez-vous... Tu es bien audacieuse d'oser me parler pour un autre!
LA COMTESSE: Eh bien! je m'ôterai, Monsieur, je me lèverai; je vous remettrai même la clef du cabinet: mais, au nom de votre amour...
LE COMTE: De mon amour! Perfide!
LA COMTESSE se lève et lui présente la clef: Promettez-moi que vous laisserez aller cet enfant, sans lui faire aucun mal; et puisse après tout votre courroux tomber sur moi, si je ne vous convaincs pas...
LE COMTE, prenant la clef: Je n'écoute plus rien.
LA COMTESSE se jette sur une bergère, un mouchoir sur les yeux: Oh! Ciel! il va périr.
LE COMTE ouvre la porte, et recule: C'est Suzanne !
Scène 17
LA COMTESSE, LE COMTE, SUZANNE.
SUZANNE sort en riant: "Je le tuerai, je le tuerai." Tuez-le donc, ce méchant page!
LE COMTE, à part: Ah! quelle école! (Regardant la Comtesse qui est restée stupéfaite.) Et vous aussi, vous jouez l'étonnement?... Mais peut-être elle n'y est pas seule.
Il entre.
Scène 18
LA COMTESSE assise, SUZANNE.
SUZANNE accourt à sa maîtresse: Remettez-vous, Madame, il est bien loin, il a fait un saut...
LA COMTESSE: Ah, Suzon, je suis morte.
Scène 19
LA COMTESSE assise, SUZANNE, LE COMTE.
LE COMTE sort du cabinet d'un air confus. Après un court silence: Il n'y a personne, et pour le coup j'ai tort. Madame?... vous jouez fort bien la comédie..
SUZANNE, gaiement: Et moi, Monseigneur??
La Comtesse, son mouchoir sur sa bouche pour se remettre, ne parle pas..
LE COMTE s'approche: Quoi, Madame, vous plaisantiez??
LA COMTESSE, se remettant un peu : Eh! pourquoi non, Monsieur??
LE COMTE: Quel affreux badinage et par quel motif, je vous prie?....
LA COMTESSE: Vos folies méritent-elles de la pitié??
LE COMTE: Nommer folies ce qui touche à l'honneur !!
LA COMTESSE, assurant son ton par degrés: Me suis-je unie à vous pour être éternellement dévouée à l'abandon et à la jalousie, que vous seul osez concilier??
LE COMTE: Ah! Madame, c'est sans ménagement..
SUZANNE : Madame n'avait qu'à vous laisser appeler les gens..
LE COMTE : Tu as raison, et c'est à moi de m'humilier... Pardon, je suis d'une confusion!....
SUZANNE: Avouez, Monseigneur, que vous la méritez un peu!!
LE COMTE: Pourquoi donc ne sortais-tu pas lorsque je t'appelais? Mauvaise!!
SUZANNE: Je me rhabillais de mon mieux, à grand renfort d'épingles, et Madame, qui me le défendait, avait bien ses raisons pour le faire..
LE COMTE: Au lieu de rappeler mes torts, aide-moi plutôt à l'apaiser.LE COMTE: Au lieu de rappeler mes torts, aide-moi plutôt à l'apaiser.
LA COMTESSE: Non, Monsieur; un pareil outrage ne se couvre point. Je vais me retirer aux Ursulines, et je vois trop qu'il en est temps.
LE COMTE : Le pourriez-vous sans quelques regrets?
SUZANNE : Je suis sûre, moi, que le jour du départ serait la veille des larmes.
LA COMTESSE: Eh! quand cela serait, Suzon; j'aime mieux le regretter que d'avoir la bassesse dee lui pardonner; il m'a trop offensée.lui pardonner; il m'a trop offensée.
LE COMTE: Rosine!....
LA COMTESSE: Je ne la suis plus, cette Rosine que vous avez tant poursuivie! Je suis la pauvre Comtesse Almaviva, la triste femme délaissée, que vous n'aimez plus..
SUZANNE: Madame.
LE COMTE, suppliant: Par pitié.
LA COMTESSE: Vous n'en aviez aucune pour moi.
LE COMTE: Mais aussi ce billet... Il m'a tourné le sang !
LA COMTESSE: Je n'avais pas consenti qu'on l'écrivît.
LE COMTE: Vous le saviez?
LA COMTESSE: C'est cet étourdi de Figaro...
LE COMTE: Il en était?
LA COMTESSE: ... qui l'a remis à Bazile.
LE COMTE: Qui m'a dit le tenir d'un paysan. Ô perfide chanteur! lame à deux tranchants! c'est toi qui payeras pour tout le monde.
LA COMTESSE: Vous demandez pour vous un pardon que vous refusez aux autres: voilà bien les hommes ! Ah! si jamais je consentais à pardonner en faveur de l'erreur où vous a jeté ce billet, j'exigerais que l'amnistie fût générale.
LE COMTE: Eh bien! de tout mon coeur, Comtesse. Mais comment réparer une faute aussi humiliante?
LA COMTESSE se lève: Elle l'était pour tous deux.
LE COMTE: Ah! dites pour moi seul. Mais je suis encore à concevoir comment les femmes prennent si vite et si juste l'air et le ton des circonstances. Vous rougissiez, vous pleuriez, votre visage était défait... D'honneur il l'est encore.
LA COMTESSE, s'efforçant de sourire: Je rougissais... du ressentiment de vos soupçons. Mais les hommes sont-ils assez délicats pour distinguer l'indignation d'une âme honnête outragée, d'avec la confusion qui naît d'une accusation méritée?
LE COMTE, souriant: Et ce page en désordre, en veste et presque nu...
LA COMTESSE, montrant Suzanne: Vous le voyez devant vous. N'aimez-vous pas mieux l'avoir trouvé que l'autre? en général, vous ne haïssez pas de rencontrer celui-ci.
LE COMTE, riant plus fort: Et ces prières, ces larmes feintes...
LA COMTESSE: Vous me faites rire, et j'en ai peu d'envie.
LE COMTE: Nous croyons valoir quelque chose en politique, et nous ne sommes que des enfants. C'est vous, c'est vous, Madame, que le roi devrait envoyer en ambassade à Londres! Il faut que votre sexe ait fait une étude bien réfléchie de l'art de se composer pour réussir à ce point!
LA COMTESSE: C'est toujours vous qui nous y forcez.
SUZANNE: Laissez-nous prisonniers sur parole, et vous verrez si nous sommes gens d'honneur.
LA COMTESSE: Brisons là, Monsieur le Comte. J'ai peut-être été trop loin; mais mon indulgence, en un cas aussi grave, doit au moins m'obtenir la vôtre.
LE COMTE: Mais vous répéterez que vous me pardonnez.
LA COMTESSE: Est-ce que je l'ai dit, Suzon?
SUZANNE: Je ne l'ai pas entendu, Madame.
LE COMTE: Eh bien! que ce mot vous échappe.
LA COMTESSE: Le méritez-vous, ingrat?
LE COMTE: Oui, par mon repentir.
SUZANNE: Soupçonner un homme dans le cabinet de Madame!
LE COMTE: Elle m'en a si sévèrement puni !
SUZANNE: Ne pas s'en fier à elle, quand elle dit que c'est sa camariste!
LE COMTE: Rosine, êtes-vous donc implacable?
LA COMTESSE: Ah Suzon! que je suis faible! quel exemple je te donne (Tendant la main au Comte.) On ne croira plus à la colère des femmes.
SUZANNE: Bon! Madame, avec eux, ne faut-il pas toujours en venir là?
Le Comte baise ardemment la main de sa femme.
Scène 20
SUZANNE, FIGARO, LA COMTESSE, LE COMTE
FIGARO arrivant tout essoufflé: On disait Madame incommodée. Je suis vite accouru... je vois avec joie qu'il n'en est rien.
LE COMTE sèchement: Vous êtes fort attentif!
FIGARO: Et c'est mon devoir. Mais puisqu'il n'en est rien, Monseigneur, tous vos jeunes vassaux des deux sexes sont en bas avec les violons et les cornemuses, attendant, pour m'accompagner, l'instant où vous permettrez que je mène ma fiancée...
LE COMTE: Et qui surveillera la Comtesse au château?
FIGARO: La veiller! elle n'est pas malade.
LE COMTE: Non; mais cet homme absent qui doit l'entretenir?
FIGARO: Quel homme absent?
LE COMTE: L'homme du billet que vous avez remis à Bazile.
FIGARO: Qui dit cela?
LE COMTE: Quand je ne le saurais pas d'ailleurs, fripon! ta physionomie, qui t'accuse, me prouverait déjà que tu mens.
FIGARO: S'il en est ainsi, ce n'est pas moi qui mens, c'est ma physionomie.
SUZANNE: Va, mon pauvre Figaro! n'use pas ton éloquence en défaites; nous avons tout dit.
FIGARO: Et quoi dit? vous me traitez comme un Bazile!
SUZANNE: Que tu avais écrit le billet de tantôt pour faire accroire à Monseigneur, quand il entrerait, que le petit page était dans ce cabinet, où je me suis enfermée.
LE COMTE: Qu'as-tu à répondre?
LA COMTESSE: Il n'y a plus rien à cacher, Figaro; le badinage est consommé.
FIGARO cherchant à deviner: Le badinage... est consommé?
LE COMTE: Oui, consommé. Que dis-tu là-dessus?
FIGARO: Moi! je dis... que je voudrais bien qu'on en pût dire autant de mon mariage; et si vous l'ordonnez...
LE COMTE: Tu conviens donc enfin du billet?
FIGARO: Puisque Madame le veut, que Suzanne le veut, que vous le voulez vous-même, il faut bien que je le veuille aussi: mais à votre place, en vérité, Monseigneur, je ne croirais pas un mot de tout ce que nous vous disons.
LE COMTE: Toujours mentir contre l'évidence! à la fin, cela m'irrite.
LA COMTESSE en riant: Eh, ce pauvre garçon! pourquoi voulez-vous, Monsieur, qu'il dise une fois la vérité?
FIGARO, bas à Suzanne: Je l'avertis de son danger; c'est tout ce qu'un honnête homme peut faire.
SUZANNE, bas: As-tu vu le petit page?
FIGARO, bas: Encore tout froissé
SUZANNE, bas: Ah, pécaïre!
LA COMTESSE: Allons, Monsieur le Comte, ils brûlent de s'unir: leur impatience est naturelle! entrons pour la cérémonie.
LE COMTE, à part: Et Marceline, Marceline... (Haut.) Je voudrais être... au moins vêtu.
LA COMTESSE: Pour nos gens! Est-ce que je le suis?
Scène 21
FIGARO, SUZANNE, LA COMTESSE, LE COMTE, ANTONIO.
ANTONIO, demi-gris, tenant un pot de giroflées écrasées: Monseigneur! Monseigneur!
LE COMTE: Que me veux-tu, Antonio?
ANTONIO: Faites donc une fois griller les croisées qui donnent sur mes couches. On jette toutes sortes de choses par ces fenêtres; et tout à l'heure encore on vient d'en jeter un homme.
LE COMTE: Par ces fenêtres?
ANTONIO: Regardez comme on arrange mes giroflées
SUZANNE, bas à Figaro: Alerte, Figaro! alerte.
FIGARO: Monseigneur, il est gris dès le matin.
ANTONIO: Vous n'y êtes pas. C'est un petit reste d'hier. Voilà comme on fait des jugements... ténébreux.
LE COMTE, avec feu: Cet homme! cet homme! où est-il?
ANTONIO: Où il est?
LE COMTE: Oui.
ANTONIO: C'est ce que je dis. Il faut me le trouver déjà. Je suis votre domestique; il n'y a que moi qui prends soin de votre jardin; il y tombe un homme, et vous sentez... que ma réputation en est effleurée.
SUZANNE, bas à Figaro: Détourne, détourne.SUZANNE, bas à Figaro: Détourne, détourne.
FIGARO: Tu boiras donc toujours?
ANTONIO: Et si je ne buvais pas, je deviendrais enragé.
LA COMTESSE: Mais en prendre ainsi sans besoin...
ANTONIO: Boire sans soif et faire l'amour en tout temps, Madame, il n'y a que ça qui nous distingue des autres bêtes.
LE COMTE, vivement: Réponds-moi donc, ou je vais te chasser.
ANTONIO: Est-ce que je m'en irais?
LE COMTE: Comment donc?
ANTONIO, se touchant le front: Si vous n'avez pas assez de ça pour garder un bon domestique, je ne suis pas assez bête, moi, pour renvoyer un si bon maître.
LE COMTE le secoue avec colère: On a, dis-tu, jeté un homme par cette fenêtre?
ANTONIO: Oui, Mon Excellence; tout à l'heure, en veste blanche, et qui s'est enfui, jarni, courant...
LE COMTE, impatienté: Après?
ANTONIO: J'ai bien voulu courir après; mais je me suis donné contre la grille une si fière gourde à la main que je ne peux plus remuer ni pied ni patte de ce doigt-là.
Levant le doigt.
LE COMTE: Au moins tu reconnaîtrais l'homme?
ANTONIO: Oh! que oui-da!... si je l'avais vu pourtant!
SUZANNE, bas à Figaro: Il ne l'a pas vu.
FIGARO: Voilà bien du train pour un pot de fleurs ! combien te faut-il, pleurard! avec ta giroflée? Il est inutile de chercher, Monseigneur, c'est moi qui ai sauté.
LE COMTE: Comment, c'est vous!
ANTONIO: "Combien te faut-il, pleurard?" Votre corps a donc bien grandi depuis ce temps-là? car je vous ai trouvé beaucoup plus moindre, et plus fluet!
FIGARO: Certainement; quand on saute, on se pelotonne...
ANTONIO: M'est avis que c'était plutôt... qui dirait, le gringalet de page.
LE COMTE: Chérubin, tu veux dire?
FIGARO: Oui, revenu tout exprès avec son cheval, de la porte de Séville, où peut-être il est déjà.
ANTONIO: Oh! non, je ne dis pas ça, je ne dis pas ça; je n'ai pas vu sauter de cheval, car je le dirais de même.
LE COMTE: Quelle patience!
FIGARO: J'étais dans la chambre des femmes en veste blanche: il fait un chaud!... J'attendais là ma Suzannette, quand j'ai ouï tout à coup la voix de Monseigneur et le grand bruit qui se faisait: je ne sais quelle crainte m'a saisi à l'occasion de ce billet; et s'il faut avouer ma bêtise, j'ai sauté sans réflexion sur les couches, où je me suis même un peu foulé le pied droit.
Il frotte son pied.
ANTONIO: Puisque c'est vous, il est juste de vous rendre ce brimborion de papier qui a coulé de votre veste en tombant.
LE COMTE se jette dessus: Donne-le-moi.
Il ouvre le papier et le referme.
FIGARO à part: Je suis pris.
LE COMTE, à Figaro: La frayeur ne vous aura pas fait oublier ce que contient ce papier, ni comment il se trouvait dans votre poche?
FIGARO embarrassé, fouille dans ses poches et en tire
des papiers: Non sûrement... Mais c'est que j'en ai tant. Il faut répondre à tout... (Il regarde un des papiers.) Ceci? ah! c'est une lettre de Marceline, en quatre pages, elle est belle!... Ne serait-ce pas la requête de ce pauvre braconnier en prison?... non, la voici... J'avais l'état des meubles du petit château, dans l'autre poche...des papiers: Non sûrement... Mais c'est que j'en ai tant. Il faut répondre à tout... (Il regarde un des papiers.) Ceci? ah! c'est une lettre de Marceline, en quatre pages, elle est belle!... Ne serait-ce pas la requête de ce pauvre braconnier en prison?... non, la voici... J'avais l'état des meubles du petit château, dans l'autre poche...Le Comte rouvre le papier qu'il tient..
LA COMTESSE, bas à Suzanne: Ah dieux! Suzon. C'est le brevet d'officier.LA COMTESSE, bas à Suzanne: Ah dieux! Suzon. C'est le brevet d'officier.
SUZANNE, bas à Figaro: Tout est perdu, c'est le brevet..
LE COMTE replie le papier: Eh bien! l'homme aux expédients, vous ne devinez pas??
ANTONIO, s'approchant de Figaro: Monseigneur dit si vous ne devinez pas??
FIGARO le repousse: Fi donc! vilain qui me parle dans le nez!!
LE COMTE: Vous ne vous rappelez pas ce que ce peut être??
FIGARO: A, a, a, ah! Povero! ce sera le brevet de ce malheureux enfant, qu'il m'avait remis, et que j'ai oublié de lui rendre. O, o, o, oh! étourdi que je suis! que fera-t-il sans son brevet? Il faut courir....
LE COMTE: Pourquoi vous l'aurait-il remis??
FIGARO, embarrassé: Il... désirait qu'on y fit quelque chose..
LE COMTE regarde son papier: Il n'y manque rien..
LA COMTESSE, bas à Suzanne: Le cachet..
SUZANNE, bas à Figaro: Le cachet manque..
LE COMTE, à Figaro: Vous ne répondez pas?
FIGARO: C'est... qu'en effet, il y manque peu de chose. Il dit que c'est l'usage...
LE COMTE: L'usage! l'usage! l'usage de quoi?
FIGARO: D'y apposer le sceau de vos armes. Peut-être aussi que cela ne valait pas la peine..
LE COMTE rouvre le papier et le chiffonne de colère: Allons, il est écrit que je ne saurai rien. (A part.) C'est ce Figaro qui les mène, et je ne m'en vengerais pas!LE COMTE rouvre le papier et le chiffonne de colère: Allons, il est écrit que je ne saurai rien. (A part.) C'est ce Figaro qui les mène, et je ne m'en vengerais pas!
Il veut sortir avec dépit.
FIGARO, l'arrêtant: Vous sortez, sans ordonner mon mariage?
Scène 22
BAZILE, BARTHOLO, MARCELINE, FIGARO, LE COMTE, GRIPPE-SOLEIL, LA COMTESSE, SUZANNE, ANTONIO; VALETS DU COMTE, SES VASSAUX.
MARCELINE, au Comte: Ne l'ordonnez pas, Monseigneur! Avant de lui faire grâce, vous nous devez justice. Il a des engagements avec moi.
LE COMTE, à part: Voilà ma vengeance arrivée.
FIGARO: Des engagements? de quelle nature? Expliquez-vous.
MARCELINE: Oui, je m'expliquerai, malhonnête !
La Comtesse s'assied sur une bergère. Suzanne est derrière elle.
LE COMTE: De quoi s'agit-il, Marceline?
MARCELINE: D'une obligation de mariage.
FIGARO: Un billet, voilà tout, pour de l'argent prêté.
MARCELINE, au Comte: Sous condition de m'épouser. Vous êtes un grand seigneur, le premier juge de la province...
LE COMTE: Présentez-vous au tribunal; j'y rendrai justice à tout le monde.
BAZILE, montrant Marceline: En ce cas, Votre Grandeur permet que je fasse aussi valoir mes droits sur Marceline?
LE COMTE à part: Ah! voilà mon fripon du billet.
FIGARO: Autre fou de la même espèce!
LE COMTE, en colère, à Bazile: Vos droits! vos droits Il vous convient bien de parler devant moi, maître sot!
ANTONIO, frappant dans sa main: Il ne l'a, ma foi, pas manqué du premier coup: c'est son nom.
LE COMTE: Marceline, on suspendra tout jusqu'à l'examen de vos titres, qui se fera publiquement dans la grand-salle d'audience. Honnête Bazile! agent fidèle et sûr!
allez au bourg chercher les gens du Siège.
BAZILE: Pour son affaire?
LE COMTE: Et vous m'amènerez le paysan du billet.
BAZII,E: Est-ce que je le connais?
LE COMTE: Vous résistez!
BAZILE: Je ne suis pas entré au château pour en faire les commissions.
LE COMTE: Quoi donc?
BAZILE: Homme à talent sur l'orgue du village, je montre le clavecin à Madame, à chanter à ses femmes, la mandoline aux pages; et mon emploi, surtout, est d'amuser votre compagnie avec ma guitare, quand il vous plaît de l'ordonner.
GRIPPE-SOLEIL s'avance: J'irai bien, Monsigneu, si cela vous plaira.
LE COMTE: Quel est ton nom, et ton emploi?
GRIPPE-SOLEIL: Je suis Grippe-Soleil, mon bon Signeu; le petit patouriau des chèvres, commandé pour le feu d'artifice. C'est fête aujourd'hui dans le troupiau; et je sais oùs-ce qu'est toute l'enragée boutique à procès du pays.
LE COMTE: Ton zèle me plaît; vas-y: mais, vous, (à Bazile) accompagnez Monsieur en jouant de la guitare, et chantant pour l'amuser en chemin. Il est de ma compagnie.
GRIPPE-SOLEIL, joyeux: Oh! moi, je suis de la...?
Suzanne l'apaise de la main, en lui montrant la Comtesse.
BAZILE, surpris: Que j'accompagne Grippe-Soleil en jouant?...
LE COMTE: C'est votre emploi: partez, ou je vous chasse.
Il sort.
Scène 23
LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, excepté LE COMTE.
BAZILE, à lui-même: Ah! je n'irai pas lutter contre le pot de fer, moi qui ne suis...
FIGARO: Qu'une cruche.
BAZILE, à part: Au lieu d'aider à leur mariage, je m'en vais assurer le mien avec Marceline. (À Figaro:) Ne conclus rien, crois-moi, que je ne sois de retour.
Il va prendre la guitare sur le fauteuil du fond.
FIGARO le suit: Conclure! oh! va, ne crains rien quand même tu ne reviendrais jamais... Tu n'as pas l'air en train de chanter; veux-tu que je commence?... allons gai! haut, la-mi-la, pour ma fiancée.
Il se met en marche à reculons, danse en
chantant la séguedille suivante, Bazile accompagne, et tout le monde le suit.SÉGUEDILLE
Air noté.
Je préfère à richesse,
La sagesse
De ma Suzon
Zon, zon, zon,
Zon, zon, zon,
Zon, zon, zon,
Zon, zon, zon.
Aussi sa gentillesse
Est maîtresse
De ma raison;
Zon, zon, zon,
Zon, zon, zon,
Zon, zon, zon,
Zon, zon, zon.
Le bruit s'éloigne, on n'entend pas le reste.
Scène 24
SUZANNE, LA COMTESSE.
LA COMTESSE, dans sa bergère: Vous voyez, Suzanne, la jolie scène que votre étourdi m'a value avec son billet.
SUZANNE: Ah! Madame, quand je suis rentrée du cabinet, si vous aviez vu votre visage! il s'est terni tout à coup; mais ce n'a été qu'un nuage; et par degrés, vous êtes devenue rouge, rouge, rouge!
LA COMTESSE: Il a donc sauté par la fenêtre?
SUZANNE: Sans hésiter, le charmant enfant! léger... comme une abeille.
LA COMTESSE: Ah! ce fatal jardinier! Tout cela m'a remuée au point... que je ne pouvais rassembler deux idées.
SUZANNE: Ah! Madame, au contraire; et c'est là que j'ai vu combien l'usage du grand monde donne d'aisance aux dames comme il faut, pour mentir sans qu'il y paraisse.
LA COMTESSE: Crois-tu que le Comte en soit la dupe? et s'il trouvait cet enfant au château!
SUZANNE: Je vais recommander de le cacher si bien...
LA COMTESSE: Il faut qu'il parte. Après ce qui vient d'arriver, vous croyez bien que je ne suis pas tentée de l'envoyer au jardin à votre place.
SUZANNE: Il est certain que je n'irai pas non plus. Voilà donc mon mariage encore une fois...
LA COMTESSE se lève: Attends... Au lieu d'un autre, ou de toi, si j'y allais moi-même?
SUZANNE: Vous, Madame?
LA COMTESSE: Il n'y aurait personne d'exposé... Le Comte alors ne pourrait nier... Avoir puni sa jalousie, et lui prouver son infidélité! cela serait... Allons: le bonheur d'un premier hasard m'enhardit à tenter le second. Fais-lui savoir promptement que tu te rendras au jardin. Mais surtout que personne...
SUZANNE: Ah! Figaro.
LA COMTESSE: Non, non. Il voudrait mettre ici du sien... Mon masque de velours, et ma canne; que j'aille y rêver sur la terrasse.
Suzanne entre dans le cabinet de toilette.
Scène 25
LA COMTESSE, seule.
Il est assez effronté mon petit projet! (Elle se retourne.) Ah! le ruban! mon joli ruban! je t'oubliais! (Elle le prend sur sa bergère et le roule.) Tu ne me quitteras plus... tu me rappelleras la scène où ce malheureux enfant... Ah! Monsieur le Comte, qu'avez-vous fait?... Et moi! que fais-je en ce moment?
Scène 26
LA COMTESSE, SUZANNE. La Comtesse met furtivement le ruban dans son sein.
SUZANNE: Voici la canne et votre loup.
LA COMTESSE: Souviens-toi que je t'ai défendu d'en dire un mot à Figaro.
SUZANNE, avec joie: Madame, il est charmant votre projet. Je viens d'y réfléchir. Il rapproche tout, termine tout, embrasse tout; et quelque chose qui arrive, mon mariage est maintenant certain.
Elle baise la main de sa maîtresse. Elles sortent.
Pendant l'entracte, des valets arrangent la salle d'audience: on apporte les deux banquettes à dossier des
avocats, que l'on place aux deux côtés du théâtre, de façon que le passage soit libre par-derrière. On pose une estrade à deux marches dans le milieu du théâtre, vers le fond, sur laquelle on place le fauteuil du Comte. On met la table du greffier et son tabouret de côté sur le devant, et des sièges pour Brid'oison et d'autres juges, des deux côtés de l'estrade du Comte.Le théâtre représente une salle du château, appelée salle du trône et servant de salle d'audience, ayant sur le côté une impériale en dais, et, dessous, le portrait du roi.
Scène 1
LE COMTE, PÉDRILLE, en veste et botté, tenant un paquet cacheté.
LE COMTE, vite: M'as-tu bien entendu?
PÉDRILLE: Excellence, oui.
Il sort.
Scène 2
LE COMTE seul, criant.
Pédrille?
Scène 3
LE COMTE, PÉDRILLE revient.
PÉDRILLE: Excellence?
LE COMTE: On ne t'a pas vu?
PÉDRILLE: Âme qui vive.
LE COMTE: Prenez le cheval barbe
PÉDRILLE: Il est à la grille du potager, tout sellé.
LE COMTE: Ferme, d'un trait, jusqu'à Séville.
PÉDRILLE: Il n'y a que trois lieues, elles sont bonnes.
LE COMTE: En descendant, sachez si le page est arrivé.
PÉDRILLE: Dans l'hôtel?
LE COMTE: Oui; surtout depuis quel temps.
PÉDRILLE: J'entends.
LE COMTE: Remets-lui son brevet, et reviens vite.
PÉDRILLE: Et s'il n'y était pas?
LE COMTE: Revenez plus vite, et m'en rendez compte; allez.
Scène 4
LE COMTE seul, marche en rêvant.
J'ai fait une gaucherie en éloignant Bazile!... la colère n'est bonne à rien. Ce billet remis par lui, qui m'avertit d'une entreprise sur la Comtesse. La camariste enfermée quand j'arrive. La maîtresse affectée d'une terreur fausse ou vraie. Un homme qui saute par la fenêtre, et l'autre après qui avoue... ou qui prétend que c'est lui... Le fil m'échappe. Il y a là-dedans une obscurité... Des libertés chez mes vassaux, qu'importe à gens de cette étoffe? mais la Comtesse! si quelque insolent attentait... où m'égaré-je? En vérité quand la tête se monte, l'imagination la mieux réglée devient folle comme un rêve! Elle s'amusait; ces ris étouffés, cette joie mal éteinte! Elle se respecte; et mon honneur... où diable on l'a placé! De l'autre part où suis-je? cette friponne de Suzanne a-t-elle trahi mon secret?... comme il n'est pas encore le sien... Qui donc m'enchaîne à cette fantaisie? j'ai voulu vingt fois y renoncer... Étrange effet de l'irrésolution! si je la voulais sans débat, je la désirerais mille fois moins. Ce Figaro se fait bien attendre! il faut le sonder adroitement, (Figaro paraît dans le fond, il s'arrête) et tâcher, dans la conversation que je vais avoir avec lui, de démêler, d'une manière détournée, s'il est instruit ou non de mon amour pour Suzanne.
Scène 5
LE COMTE, FIGARO
FIGARO, à part: Nous y voilà.
LE COMTE: ... S'il en sait par elle un seul mot...
LE COMTE: ... je lui fais épouser la vieille.
FIGARO, à part: Les amours de Monsieur Bazile?
LE COMTE: ... Et voyons ce que nous ferons de la jeune.
FIGARO, à part: Ah! ma femme, s'il vous plaît.
LE COMTE se retourne: Hein? quoi? qu'est-ce que c'est?
FIGARO s'avance: Moi, qui me rends à vos ordres.
LE COMTE: Et pourquoi ces mots?
FIGARO: Je n'ai rien dit.
LE COMTE répète: " Ma femme, s'il vous plaît "?
FIGARO: C'est... la fin d'une réponse que je faisais "Allez le dire à ma femme, s'il vous plaît."
LE COMTE se promène: "Sa femme"!... Je voudrais bien savoir quelle affaire peut arrêter Monsieur, quand je le fais appeler?
FIGARO, feignant d'assurer son habillement: Je m'étais sali sur ces couches en tombant; je me changeais.
LE COMTE: Faut-il une heure?
FIGARO: Il faut le temps.
LE COMTE: Les domestiques ici... sont plus longs à s'habiller que les maîtres!
FIGARO: C'est qu'ils n'ont point de valets pour les y aider.LE COMTE: ... Je n'ai pas trop compris ce qui vous avait forcé tantôt de courir un danger inutile, en vous jetant...
FIGARO: Un danger! on dirait que je me suis engouffré tout vivant...
LE COMTE: Essayez de me donner le change en feignant de le prendre, insidieux valet! vous entendez fort bien que ce n'est pas le danger qui m'inquiète, mais le motif
FIGARO: Sur un faux avis, vous arrivez furieux, renversant tout, comme le torrent de la Morena; vous cherchez un homme, il vous le faut, ou vous allez briser les portes, enfoncer les cloisons! je me trouve là par hasard, qui sait dans votre emportement si...
LE COMTE, interrompant: Vous pouviez fuir par l'escalier.
FIGARO: Et vous, me prendre au corridor.
LE COMTE en colère: Au corridor! (A part.) Je m'emporte, et nuis à ce que je veux savoir.
FIGARO, à part: Voyons-le venir, et jouons serré.
LE COMTE, radouci: Ce n'est pas ce que je voulais dire, laissons cela. J'avais... oui, j'avais quelque envie de t'emmener à Londres, courrier de dépêches... mais toutes réflexions faites...
FIGARO: Monseigneur a changé d'avis?
LE COMTE: Premièrement, tu ne sais pas l'anglais.
FIGARO: Je sais God-dam.
LE COMTE: Je n'entends pas.
FIGARO: Je dis que je sais God-dam.
LE COMTE: Eh bien?
FIGARO: Diable! c'est une belle langue que l'anglais il en faut peu pour aller loin. Avec God-dam en Angleterre, on ne manque de rien nulle part. Voulez-vous tâter d'un bon poulet gras? entrez dans une taverne, et faites seulement ce geste au garçon. (Il tourne la broche.) Goddam! on vous apporte un pied de boeuf salé sans pain. C'est admirable! Aimez-vous à boire un coup d'excellent bourgogne ou de clairet? rien que celui-ci. (Il débouche une bouteille.) God-dam! on vous sert un pot de bière, en bel étain, la mousse aux bords. Quelle satisfaction! Rencontrez-vous une de ces jolies personnes, qui vont trottant menu, les yeux baissés, coudes en arrière, et tortillant un peu des hanches? mettez mignardement tous les doigts unis sur la bouche. Ah! God-dam! elle vous sangle un soufflet de crocheteur. Preuve qu'elle entend. Les Anglais, à la vérité, ajoutent par-ci, par-là quelques autres mots en conversant; mais il est bien aisé de voir que God-dam est le fond de la langue; et si Monseigneur n'a pas d'autre motif de me laisser en Espagne...
LE COMTE, à part: Il veut venir à Londres; elle n'a pas parlé.
FIGARO, à part: Il croit que je ne sais rien; travaillons-le un peu, dans son genre.
LE COMTE: Quel motif avait la Comtesse, pour me jouer un pareil tour?
FIGARO: Ma foi, Monseigneur, vous le savez mieux que moi.
LE COMTE: Je la préviens sur tout, et la comble de présents.
FIGARO: Vous lui donnez, mais vous êtes infidèle. Sait-on gré du superflu, à qui nous prive du nécessaire?
LE COMTE: ... Autrefois tu me disais tout.
FIGARO: Et maintenant je ne vous cache rien.
LE COMTE: Combien la Comtesse t'a-t-elle donné pour cette belle association?
FIGARO: Combien me donnâtes-vous pour la tirer des mains du docteur? Tenez, Monseigneur, n'humilions pas l'homme qui nous sert bien, crainte d'en faire un mauvais valet.
LE COMTE: Pourquoi faut-il qu'il y ait toujours du louche en ce que tu fais?
FIGARO: C'est qu'on en voit partout quand on cherche des torts.
LE COMTE: Une réputation détestable!
FIGARO: Et si je vaux mieux qu'elle? y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant?
LE COMTE: Cent fois je t'ai vu marcher à la fortune et jamais aller droit.
FIGARO: Comment voulez-vous? la foule est là: chacun veut courir, on se presse, on pousse, on coudoie, on renverse, arrive qui peut; le reste est écrasé. Aussi c'est fait; pour moi j'y renonce.
LE COMTE: A la fortune? (A part.) Voici du neuf.
FIGARO (A part.): À mon tour maintenant. (Haut.) Votre Excellence m'a gratifié de la conciergerie du château; c'est un fort joli sort; à la vérité je ne serai pas le courrier étrenné des nouvelles intéressantes; mais en revanche, heureux avec ma femme au fond de l'Andalousie...
LE COMTE: Qui t'empêcherait de l'emmener à Londres?
FIGARO: Il faudrait la quitter si souvent que j'aurais bientôt du mariage par-dessus la tête.
LE COMTE: Avec du caractère et de l'esprit, tu pourrais un jour t'avancer dans les bureaux.
FIGARO: De l'esprit pour s'avancer? Monseigneur se rit du mien. Médiocre et rampant; et l'on arrive à tout.
LE COMTE: ... Il ne faudrait qu'étudier un peu sous moi la politique.
FIGARO: Je la sais.
LE COMTE: Comme l'anglais, le fond de la langue!
FIGARO: Oui, s'il y avait de quoi se vanter. Mais, feindre d'ignorer ce qu'on sait, de savoir tout ce qu'on ignore, d'entendre ce qu'on ne comprend pas, de ne point ouïr ce qu'on entend, surtout de pouvoir au-delà de ses forces; avoir souvent pour grand secret de cacher qu'il n'y en a point; s'enfermer pour tailler des plumes, et paraître profond, quand on n'est, comme on dit, que vide et creux; jouer bien ou mal un personnage; répandre des espions et pensionner des traîtres; amollir des cachets; intercepter des lettres; et tâcher d'ennoblir la pauvreté des moyens par l'importance des objets. Voilà toute la politique, ou je meure!
LE COMTE: Eh! c'est l'intrigue que tu définis !
FIGARO: La politique, l'intrigue, volontiers mais, comme je les crois un peu germaines, en fasse qui voudra. "J'aime mieux ma mie, ô gué! " comme dit la chanson du bon roi.
LE COMTE, à part: Il veut rester. J'entends... Suzanne m'a trahi.
FIGARO, à part: Je l'enfile et le paye en sa monnaie.
LE COMTE: Ainsi tu espères gagner ton procès contre Marceline?
FIGARO: Me feriez-vous un crime de refuser une vieille fille, quand Votre Excellence se permet de nous souffler toutes les jeunes?
LE COMTE, raillant: Au tribunal, le magistrat s'oublie, et ne voit plus que l'ordonnance.
FIGARO: Indulgente aux grands, dure aux petits...
LE COMTE: Crois-tu donc que je plaisante?
FIGARO: Eh! qui le sait, Monseigneur? Tempo è galant 'uomo dit l'italien; il dit toujours la vérité; c'est lui qui m'apprendra qui me veut du mal, ou du bien.
LE COMTE, à part: Je vois qu'on lui a tout dit; il épousera la duègne.
FIGARO, à part: Il a joué au fin avec moi; qu'a-t-il appris?
Scène 6
LE COMTE, UN LAQUAIS, FIGARO.
LE LAQUAIS, annonçant: Don Gusman Brid'oison.
LE COMTE: Brid'oison?
FIGARO: Eh! sans doute. C'est le juge ordinaire; le lieutenant du siège; votre prud'homme
LE COMTE: Qu'il attende.
Le laquais sort.
Scène 7
LE COMTE, FIGARO.
FIGARO reste un moment à regarder le Comte qui rêve:... Est-ce là ce que Monseigneur voulait?
LE COMTE, revenant à lui: Moi?... Je disais d'arranger ce salon pour l'audience publique.
FIGARO: Hé, qu'est-ce qu'il manque? le grand fauteuil pour vous, de bonnes chaises aux prud'hommes, le tabouret du greffier, deux banquettes aux avocats, le plancher pour le beau monde, et la canaille derrière. Je vais renvoyer les frotteurs.
Il sort.
Scène 8
LE COMTE, seul.
Le maraud m'embarrassait! en disputant, il prend son avantage, il vous serre, vous enveloppe... Ah! friponne et fripon! vous vous entendez pour me jouer! Soyez amis, soyez amants, soyez ce qu'il vous plaira, j'y consens; mais, parbleu, pour époux...
Scène 9
SUZANNE, LE COMTE.
SUZANNE essoufflée: Monseigneur... pardon, Monseigneur.
LE COMTE, avec humeur: Qu'est-ce qu'il y a, Mademoiselle?
SUZANNE: Vous êtes en colère
LE COMTE: Vous voulez quelque chose apparemment?
SUZANNE, timidement: C'est que ma maîtresse a ses vapeurs. J'accourais vous prier de nous prêter votre flacon d'éther. Je l'aurais rapporté dans l'instant.
LE COMTE le lui donne: Non, non, gardez-le pour vous-même. Il ne tardera pas à vous être utile.
SUZANNE: Est-ce que les femmes de mon état ont des vapeurs, donc? c'est un mal de condition, qu'on ne prend que dans les boudoirs.
LE COMTE: Une fiancée bien éprise, et qui perd son futur...
SUZANNE: En payant Marceline, avec la dot que vous m'avez promise...
LE COMTE: Que je vous ai promise, moi?
SUZANNE, baissant les yeux: Monseigneur, j'avais cru l'entendre.
LE COMTE: Oui, si vous consentiez à m'entendre vous-même.
SUZANNE, les yeux baissés: Et n'est-ce pas mon devoir d'écouter Son Excellence?
LE COMTE: Pourquoi donc, cruelle fille! ne me l'avoir pas dit plus tôt?
SUZANNE: Est-il jamais trop tard pour dire la vérité?
LE COMTE Tu te rendrais sur la brune au jardin?
SUZANNE: Est-ce que je ne m'y promène pas tous les soirs?
LE COMTE: Tu m'as traité ce matin si durement
SUZANNE: Ce matin? et le page derrière le fauteuil?
LE COMTE: Elle a raison, je l'oubliais. Mais pourquoi ce refus obstiné, quand Bazile, de ma part?...
SUZANNE: Quelle nécessité qu'un Bazile?...
LE COMTE: Elle a toujours raison. Cependant il y a un certain Figaro à qui je crains bien que vous n'ayez tout dit!
SUZANNE: Dame! oui, je lui dis tout - hors ce qu'il faut lui taire.
LE COMTE, en riant: Ah! charmante! Et, tu me le promets? Si tu manquais à ta parole; entendons-nous, mon coeur: point de rendez-vous, point de dot, point de mariage.
SUZANNE, faisant la révérence: Mais aussi, point de mariage, point de droit du seigneur, Monseigneur.
LE COMTE: Où prend-elle ce qu'elle dit? d'honneur j'en raffolerai! Mais ta maîtresse attend le flacon...
SUZANNE, riant et rendant le flacon: Aurais-je pu vous parler sans un prétexte?
LE COMTE veut l'embrasser: Délicieuse créature
SUZANNE s'échappe: Voilà du monde.
LE COMTE à part: Elle est à moi.
Il s'enfuit.
SUZANNE: Allons vite rendre compte à Madame.
Scène 10
SUZANNE, FIGARO.
FIGARO: Suzanne, Suzanne! où cours-tu donc si vite en quittant Monseigneur?
SUZANNE: Plaide à présent, si tu le veux; tu viens de gagner ton procès.
Elle s'enfuit.
FIGARO la suit: Ah! mais, dis donc...
Scène 11
LE COMTE rentre seul.
"Tu viens de gagner ton procès!" Je donnais là dans un bon piège! Ô mes chers insolents! je vous punirai de façon... Un bon arrêt, bien juste... mais s'il allait payer la duègne... avec quoi?... s'il payait... Eeeeh! n'ai-je pas le fier Antonio, dont le noble orgueil dédaigne, en Figaro, un inconnu pour sa nièce? En caressant cette manie... pourquoi non? dans le vaste champ de l'intrigue, il faut savoir tout cultiver, jusqu'à la vanité d'un sot. (Il appelle.) Anto...
Il voit entrer Marceline, etc. Il sort.
Scène 12
BARTHOLO, MARCELINE, BRID'OISON.
MARCELINE, à Brid'oison: Monsieur, écoutez mon affaire.
BRID'OISON, en robe, et bégayant un peu: Eh bien pa-arlons-en
verbalement.
BARTHOLO: C'est une promesse de mariage.
MARCELINE: Accompagnée d'un prêt d'argent.
IBPID'OISON : J'en-entends, et caetera, le reste.
MARCELINE: Non, Monsieur, point d'et caetera.
BRID'OISON: J'en-entends: vous avez la somme?
MARCELINE: Non, Monsieur, c'est moi qui l'ai prêtée.
BRID'OISON: J'en-entends bien, vou-ous redemandez l'argent?
MARCELINE: Non, Monsieur; je demande qu'il m'épouse.
BRID'OISON: Eh, mais, j'en-entends fort bien; et lui, veu-eut-il vous épouser?
MARCELINE: Non, Monsieur; voilà tout le procès
BRID'OISON: Croyez-vous que je ne l'en-entende pas, le procès?
MARCELINE: Non, Monsieur. (A Bartholo:) Où sommes-nous? (À Brid'oison:) Quoi! c'est vous qui nous jugerez?
BRID'OISON: Est-ce que j'ai a-acheté ma charge pour autre chose?
MARCELINE, en soupirant: C'est un grand abus que de les vendre!
BRID'OISON: Oui, l'on-on ferait mieux de nous les donner pour rien. Contre qui plai-aidez-vous?
Scène 13
BARTHOLO, MARCELINE, BRID'OISON; FIGARO rentre en se frottant les mains.
MARCELINE, montrant Figaro: Monsieur, contre ce malhonnête homme.
FIGARO, très gaiement, à Marceline: Je vous gêne peut-être. Monseigneur revient dans l'instant, Monsieur le Conseiller.
BRID'OISON: J'ai vu ce ga-arçon-là quelque part?
FIGARO: Chez Madame votre femme, à Séville, pour la servir, Monsieur le Conseiller.
BRID'OISON: Dan-ans quel temps?
FIGARO: Un peu moins d'un an avant la naissance de Monsieur votre fils le cadet, qui est un bien joli enfant, je m'en vante.
BRID'OISON: Oui, c'est le plus jo-oli de tous. On dit que tu-u fais ici des tiennes?